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aurait exhumé ses Lettres de Saint-James, pamphlet politique remarquablement spirituel, piquant à son heure, oublié maintenant, pour y reconnaître le style et l’esprit de l’auteur du manuscrit de Sainte-Hélène ? On peut juger par là des difficultés, des variations et des incertitudes qui accompagnent la recherche du véritable auteur des lettres de Junius.

Une troisième chose, avons-nous dit, à considérer, c’est le rapport qui peut exister entre la personne fictive de Junius et la personne réelle qui a pris ce nom. Ici encore, l’erreur est facile. D’une foule d’indices et de passages bien étudiés, on a conclu jadis que Junius devait être un Anglais connaissant l’Irlande et l’idiome irlandais, familiarisé avec la langue et la littérature françaises, versé dans l’étude de la loi, placé dans les rangs élevés de la société, l’égal des hommes d’état de son temps, parvenu à l’âge de l’expérience, indépendant par sa fortune, par sa position, capable de protéger contre tout risque ceux qui se seraient exposés pour lui, sûr de son secret et de lui-même, sûr d’un grand avenir. Nous avons tous avec des données qui semblaient certaines ainsi recomposé la figure idéale de Junius, et nous l’avons tous comparée tant bien que mal à celle des divers personnages historiques qui se disputaient notre suffrage. Francis n’était pas celui de tous qui se reconnaissait le mieux à ce portrait ; mais c’est ici qu’il faut citer un excellent travail de M. Parkes, sans contredit ce qu’il a laissé de mieux et de plus solide parmi les fragmens de son enquête. Il y établit d’une manière suivant moi convaincante que Junius devait être jeune, obscur, sans naissance, sans crédit, sans fortune, qu’il n’était ni dans le parlement, ni dans le gouvernement, et ne connaissait avec détail que quelques parties de l’administration de la guerre. C’est ce que j’ai lu de mieux à l’appui de la théorie franciscaine.

Je ne puis donc accorder à M. Hayward que la publication de M. Parkes et de M. Merivale n’ait point avancé les affaires de Francis. Sans aucun doute, la compatibilité de son caractère, de son tour d’esprit, de sa situation sociale, des événemens de sa vie avec l’œuvre de celui qui a été Junius, a été mise dans un meilleur jour, et, si tout à coup une preuve irrécusable venait nous apprendre que c’est lui, personne ne devrait être étonné ; mais M. Hayward a raison, ce n’est pas prouvé, et je défère à son autorité comme légiste aussi bien qu’à sa sagacité comme critique, s’il me dit que devant aucun tribunal une question d’état ne serait sur de pareils indices affirmativement résolue. Ceux qui veulent en savoir les raisons n’ont qu’à lire son remarquable écrit. Il est impossible de discuter avec une habileté plus piquante.