Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

témoignage, déterminé par une suite d’impressions concordantes, est l’un des plus plausibles motifs d’adopter l’opinion dont il dépose. On peut demander comment il se fait que pendant quatre ans d’une union intime lady Francis n’ait jamais adressé à son mari une question catégorique. Elle aurait répondu qu’il n’y avait jamais de libre et parfaite intimité avec lui, qu’il n’aimait pas à être interrogé, et qu’il lui avait signifié qu’il ne voulait jamais l’être. Cela même trahit l’inquiétude d’un homme qui veut rester maître de ses secrets. Comme il répugnait au mensonge, il détestait l’indiscrétion, et toute curiosité qui s’adressait directement à lui le mettait mal à l’aise et n’obtenait qu’une réponse sèche et décourageante, quand il voulait bien ne pas rester distrait et silencieux. En général, Francis n’avait jamais d’abandon. Junius devait être ainsi.

Mais enfin on a des manuscrits de Junius. Depuis que Woodfall a fait connaître son écriture, on aurait dû trouver là un signe matériel de la vérité. Grande illusion ! la vérification d’écriture, qui n’a pas très bonne réputation comme moyen d’information judiciaire, ne sera pas réhabilitée par l’application qu’on en peut faire aux manuscrits de Junius et de Francis. Le premier contrefaisait sa main, à ce qu’il semble, en traçant les copies et les billets qu’il adressait à Woodfall, mais il s’oubliait quelquefois et reprenait sa manière naturelle. Il conservait certaines habitudes, certaines particularités de ponctuation, certaines formes de caractères dont les analogues se retrouvent dans l’écriture de Francis. Celle-ci se prête aisément aux altérations calculées que Junius fait subir à la sienne ; mais elle ressemble à beaucoup d’autres écritures du temps, et il y en a plusieurs, celle de lady Temple notamment, qu’il est difficile d’en distinguer. Il ne resterait donc à examiner que le contenu des écrits de Junius et de Francis, le style et le talent de l’un et de l’autre, ce que l’on sait de la personne, des manières et de la conduite de tous deux ; mais, supposé que tous ces points soigneusement étudiés se réunissent pour prouver que Francis peut être Junius, ils ne prouveraient pas encore qu’il le soit. C’est du moins ce que soutient par un raisonnement fort délié un critique de beaucoup d’esprit. La réfutation remarquable que M. Hayward a opposée à l’ouvrage de MM. Parkes et Merivale devra être réfutée à son tour, si l’on veut mettre hors de question l’opinion qu’il combat.

Comparez donc les lettres de Junius, sa correspondance privée avec Woodfall, les articles que sous divers noms il a insérés dans plusieurs journaux, surtout dans le Public Advertiser, enfin les pamphlets, mémoires et discours que Francis a livrés à l’impression. Les lettres de Junius, sans être de tout point conformes aux opinions que professait Francis, en reproduisent bien la tendance et