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Dès son début, il se posa comme un élève de Chatham, tournant contre le fils l’admiration qu’il conservait au père. On sait quelle place tenait alors dans le débat la question de l’organisation du gouvernement de l’Inde. Dans cette question, son expérience lui donnait de l’autorité, et son autorité servait sa haine. Il poussa, il inspira Burke dans cette mémorable accusation qui soumit Hastings à un procès de sept années, et si Francis, considéré comme un ennemi personnel, ne put siéger parmi les accusateurs, il fut leur conseil et souvent leur guide. S’il ne put voir son ennemi condamné, il le tint humilié longtemps, et il eut la satisfaction plus noble de voir ses idées sur le gouvernement de l’Inde justifiées par l’administration réparatrice de lord Cornwallis. Malheureusement il ne put chasser de son âme l’ambition insensée d’être un de ses successeurs. Il espéra l’accomplissement de ce rêve tantôt de la faveur du prince de Galles, tantôt de la reconnaissance de Fox, qu’il suivit dans sa longue lutte en faveur des principes de la révolution française, et lorsqu’à soixante-six ans il le vit enfin ministre prépondérant sans obtenir la faveur toujours tant désirée, jamais promise, il ne lui pardonna point, et s’en vengea sur sa mémoire par un portrait spirituellement malveillant du chef qu’il accusait d’ingratitude. Peu d’hommes ont avec plus d’âcreté et de naïveté que Francis érigé leurs griefs personnels en griefs publics, et mis leur talent et leur politique au service de leurs ressentimens.

La suite de sa vie parlementaire, qui se prolongea jusqu’en 1807, est racontée par M. Merivale avec des détails et des citations qui complètent d’une manière souvent piquante l’histoire anecdotique de la société anglaise à cette intéressante époque, et ceux qui l’ont étudiée trouveront encore là quelque chose à apprendre ; mais le temps nous presse d’arriver à la question que nous avons en vue. Nous nous bornerons à dire que Francis, riche et considéré, recherché dans le monde, jouissait comme homme public d’une renommée d’habileté et de talent qu’aucun succès important n’avait justifiée ; mais il semblait que ce fût la faute du sort. Il pouvait s’en prendre à la fortune, et se dire qu’il avait manqué sa vie en songeant que cinquante ans d’énergique activité ne lui avaient valu qu’un titre banal de chevalier du Bain. Il n’y gagnait que le droit de faire appeler sa femme lady. Il voulut en user. Veuf depuis 1806, il épousa, huit ans après, Emma Watkins, qui en avait quarante-trois de moins que lui, et sut lui inspirer une tendre admiration qui a profité à sa mémoire. Toujours attentif au cours des affaires publiques, il passa ses derniers jours dans un calme assez doux ; marié en 1814, il vécut encore quatre années qui ne furent pas les moins heureuses de sa vie. Il mourut le 23 décembre 1818