Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est de l’opinion qu’il rédige au nom du gouvernement ; mais, sans d’abord prendre parti pour la personne de Wilkes, en le traitant même assez sévèrement, il s’intéresse à la liberté de la presse et ne peut souffrir l’abus qu’on fait pour l’opprimer d’une légalité douteuse. Il blâme donc bien des actes et bien des membres du ministère dont il respecte le chef. Lorsque ce cabinet fait place à celui du marquis de Rockingham, il lui reproche sa faiblesse, surtout à l’égard de l’Amérique. Cette question le sépare même de Pitt, et ne le dispose pas à lui pardonner le ministère équivoque que bientôt il forme à lui seul et dans lequel il s’annule sous le titre de lord Chatham. Six mois auparavant, il écrivait à un ami ces mots en français : « Tout le monde est d’accord que M. P. (Pitt) est ce qu’on appelle perdu sans retour. » Deux années d’inaction et d’impuissance dans un ministère qui le trahissait n’étaient pas faites pour le sauver. Sa retraite trop tardive le rendit à lui-même. Peu à peu il revint à l’opposition, et Francis revint à lui. Cette tendance constante et ces variations d’opinion attribuées à Francis ne sont pas en désaccord avec le cours d’idées qu’on peut suivre dans la succession des écrits interprétés par M. Parkes, et dont quelques-uns ont Junius pour auteur, au témoignage décisif de Woodfall, et j’ajoute dès à présent que rien de tout cela n’est incompatible avec l’esprit qui anime les lettres de Junius ; mais ces concordances ne peuvent être établies que par une investigation laborieuse, elles ne sont pas évidentes par elles-mêmes.

Or nous sommes au moment où cesse le travail de M. Parkes. Il se tait juste à l’heure où l’on aurait tenu davantage à l’entendre. J’ai déjà dit que M. Merivale l’avait remplacé. D’une main exercée, il a tracé de Francis une biographie exacte et intéressante, mais où ne figure pas comme un fait la composition des lettres de Junius, car dans sa correspondance, comme dans un commencement d’autobiographie qu’il a laissé, Francis n’en dit mot. Renonçant à suppléer à son silence, à raconter comme un fait ce qui n’est qu’une hypothèse, M. Merivale s’est borné à déclarer qu’il partageait la conviction de M. Parkes, mais qu’il s’en remettait du soin de l’établir à quelque futur éditeur de Junius. Pour lui, il se contente de narrer la vie de Junius telle qu’elle ressort des documens dont il dispose. C’est au lecteur de comparer ce récit pas à pas avec les indications fournies par les trois séries de lettres imprimées, savoir : les lettres publiques de Junius, ses lettres privées à Woodfall, et celles que ses éditeurs lui ont attribuées en les annexant à ses lettres authentiques.

Au moment où M. Parkes abandonne son héros, le jour approchait où, reconnaissant trop tard son erreur, Chatham allait laisser