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conclu que Francis était Junius. Ainsi le problème eût été renversé, on aurait de Francis induit Junius et non de Junius Francis. Quoi qu’il faille penser de cette méthode, elle ne pouvait être jugée qu’à l’épreuve. Le succès dépendait du nombre et de la nature des faits sur lesquels devait s’appuyer le raisonnement, si toutefois le raisonnement était encore nécessaire, et si aucun témoignage direct ne venait dispenser de tout commentaire. Tel était l’esprit dans lequel M. Parkes avait commencé son ouvrage. Lorsque la mort l’a enlevé il y a quelques années, il n’avait pas atteint dans son récit l’époque où Francis a pu signer la première lettre de Junius, de sorte qu’il a laissé intacte la portion de son œuvre qui l’intéressait, qui le passionnait davantage. Au-delà il n’avait écrit que des notes détachées. Heureusement tout ce qu’il avait recueilli et préparé a passé dans les mains d’un écrivain plus apte peut-être ou du moins plus habitué à en tirer un livre, M. Herman Merivale, déjà bien connu dans les lettres, a continué d’une plume facile cette biographie plus péniblement entamée par M. Parkes. Moins curieux de détails, moins attaché que le minutieux jurisconsulte à l’examen des faits et des textes, il a composé un ouvrage qui se lit agréablement et qui remplit quelques lacunes dans l’histoire de la société politique anglaise pendant les trente dernières années de l’autre siècle et les seize premières de celui-ci. Grâce à lui, nous savons de la vie publique et de la vie privée de sir Philip Francis, qui était un personnage assez remarquable, tout ce qu’on peut trouver quelque intérêt à savoir. Il n’y a qu’un point de cette vie, le plus secret et le plus curieux, qui reste à peu de chose près dans la même obscurité. Francis est-il Junius, et s’il l’est, sous l’empire de quels sentimens, dans quelles vues, par quels motifs s’est-il décidé à l’être ? Comment en a-t-il conçu la résolution et par quels moyens l’a-t-il exécutée ? Par quelles causes et dans quelles circonstances l’a-t-il abandonnée ? Sur toutes ces questions, M. Merivale ajoute assez peu de chose à ce qu’on savait déjà ; il se passionne moins que M. Parkes pour un problème difficile et ingrat, le tenant pour déjà résolu par des autorités antérieures et par un commencement de consentement général, et il s’est contenté d’écrire la vie de Francis. En la montrant telle que rien n’empêchât que Francis fût Junius, il ne s’est pas imposé la tâche de prouver qu’il le fût en effet. Il lui suffit, ce semble, qu’il ait pu l’être, pour qu’il l’ait été, et le fait qui serait le plus grand événement de sa vie se trouve pour ainsi dire en lacune dans son histoire.

Rien dans le nouveau récit n’exclut la possibilité du fait, rien n’en atteste la réalité. Quant à la probabilité, fortifiée par quelques