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Ce fut encore ce sujet qui l’occupa dans la première suppléance que lui offrit Fauriel à la Faculté des lettres en 1832. Ces divers cours, dont on a les leçons d’ouverture et quelques fragmens, offraient de l’intérêt et donnaient aux jeunes esprits qui y assistaient une teinture de ces sujets étrangers et jusqu’alors tout à fait ignorés chez nous : c’était une première couche excellente ; mais si j’interroge les hommes savans et spéciaux qui, depuis 1838, ont poussé plus loin chez nous cette branche d’étude, ce qu’enseignait Ampère n’était en effet qu’une première couche et assez superficielle. Ampère, littérairement, ne fit que reconnaître les rivages du nord ; il n’y prit point pied d’une manière solide, il n’y fonda point d’établissement proprement dit. Dans son volume de mélanges publiés en 1833 sous le titre de Littérature et Voyages, il a réuni nombre d’articles à ce sujet ; ce n’était qu’un commencement, et par malheur ce commencement, comme tant d’autres, n’a pas eu de suites. Ampère vécut trop sur ce seul et unique voyage en Scandinavie. Un juge compétent, et qui a le droit d’être sévère[1], me dit :


« En littérature, comme en toutes choses, il faut du saisissable, esprit ou corps ; mais que faire de spectres et de fantômes ? Ampère ne nous donne ni des faits, ni des idées ; il donne des réverbérations… Des écrits de cette espèce ont fait au nord la singulière réputation d’être intellectuellement brumeux. Le brouillard n’est pas dans les choses ; il vient de notre ignorance, du brouillard dans notre tête.

« Je préfère de lui, à ses discours d’ouverture, les articles Edda, Voluspa, Hava-Mal, Rig ; au moins ici nous touchons à des textes. La littérature se fait avec des textes bien compris. Ampère ne comprend pas directement les textes, il ne sait pas les premiers élémens du norrain. Comment parler pertinemment d’une littérature et d’un peuple dont on ne sait pas la langue ? Les traductions d’Ampère sont des à peu près ; on a de la peine à y reconnaître le génie du nord, comme on a de la peine a saisir le génie hébraïque dans la traduction latine de la Vulgate. Ce n’est exact ni dans l’ensemble, ni surtout dans le détail. Ses traductions sont faites avec des traductions latines ou allemandes : elles reproduisent les études telles qu’elles étaient entre 1815-1830 en Allemagne et dans le nord. »


Cette date représente en effet celle du voyage d’Ampère et de son érudition Scandinave, à laquelle dès lors il mit le signet et qu’il ne poussa point plus avant.

J’ai dit le bien et montré le beau côté : je tiens aussi à ne pas dissimuler le revers. Le faible de l’agréable et brillant littérateur que nous aimions, et qui, à nous ignorans, nous a tant appris ou

  1. M. Bergmann, doyen de la Faculté des lettres de Strasbourg.