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qu’on produit avec une fière complaisance et à qui il ne manque rien qu’une occasion de montrer qu’elle est à la hauteur de toutes les entreprises ? C’est pour mieux garantir la paix, dit-on, c’est pour rétablir par le développement de notre puissance militaire l’équilibre politique rompu par les événemens de 1866, et quand on parle ainsi, on ne voit pas qu’on se contredit soi-même, on montre qu’on n’a nullement pris son parti. On parle comme si on n’avait rien à craindre, et on agit comme si on avait tout à craindre. On affaiblit d’avance toutes les promesses pacifiques, car enfin cette puissance militaire, c’est un moyen de défendre ou de rétablir cet équilibre déclaré dès ce moment rompu, ou bien ce n’est qu’une grande et vaine ostentation pour pouvoir dire à l’Europe : Vous le voyez, nous n’étions pas prêts il y a deux ans, nous sommes prêts aujourd’hui ; nous pourrions faire la guerre, notre armée n’attend qu’un signal : vivons en paix, puisque la paix n’est plus une faiblesse. — Il est certain que ce serait là un système de politique pacifique qui coûterait cher au pays, sans compter qu’il ne serait peut-être pas encore très efficace.

Si au contraire le gouvernement reste toujours préoccupé de cette situation nouvelle créée en Allemagne, s’il n’a pas pris son parti de tout ce qui se fait ou se prépare au-delà du Rhin, s’il est d’avance décidé à ne pas laisser la Prusse aller jusqu’au bout, et si, au lieu d’en être à la circulaire de M. de Lavalette, il en est à la lettre adressée par l’empereur au mois de juin 1866, soit encore, c’est une autre politique. Le gouvernement n’a point tort vraiment dans ce cas de se tenir en garde, de faire sentir de temps à autre le bout de l’épée : ses armemens ont une explication toute simple, une destination parfaitement certaine, car il est bien clair que l’Allemagne n’en restera point là, que la Prusse ne reculera pas, quoi qu’elle puisse aujourd’hui sentir le besoin de ne rien hâter, de ne rien provoquer ; mais, s’il en est ainsi, pourquoi s’étonner que l’opinion s’inquiète, qu’elle résiste à la séduction de toutes les paroles pacifiques, que toutes les apparences la trouvent incrédule, et qu’on soit tous les jours un peu moins avancé dans ce travail de Pénélope du rétablissement de la confiance publique ? Que signifient ces vaines accusations de défiance systématique, lorsque les faits suffisent certes par eux-mêmes pour expliquer toutes les émotions et toutes les vigilances de l’esprit public ? Pourquoi trouver étrange que le pays veuille savoir où on le conduit, et que, ne voyant qu’obscurité et contradiction, il suppose tout ? On n’aboutit ainsi qu’à dérouter l’opinion sans la calmer, à l’énerver sans la persuader. De toute façon, on retombe en face des mêmes difficultés, faute d’une parole nette et décisive qui tranche tous les doutes, et surtout d’une politique conforme à cette parole. Tant que cette politique n’apparaîtra pas avec une claire autorité, tant qu’elle s’enveloppera de silence ou se perdra dans des fluctuations calculées, on vivra dans cette atmosphère d’incrédulité et de doute, dans ces paniques incessantes. On prendra les discours du maréchal Vaillant pour ce qu’ils sont, les