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revendiquer un des premiers rangs. Cette agglomération est d’autant plus remarquable qu’elle est récente. En 1815, la commune de Flers n’avait que 2,000 habitans ; le recensement de 1866 lui en donne 10,000 ; elle a quintuplé en cinquante ans. Ce n’était autrefois qu’une simple commune ; elle n’a été érigée en chef-lieu de canton qu’en 1826. Son histoire contraste avec le reste du département, où la population diminue. Depuis vingt ans, l’arrondissement d’Alençon a diminué de 2,000 habitans, celui d’Argentan de l4,000, celui de Mortagne de 10,000 : l’arrondissement de Domfront aurait diminué également, si Flers n’avait pas gagné ce que le reste a perdu. À Flers, les naissances excèdent les décès, mais pas assez pour expliquer l’accroissement ; le surcroît de population vient surtout du dehors. C’est l’industrie cotonnière qui est la cause de cette prospérité. Flers est un des principaux centres industriels de France. Même depuis quinze ans, malgré la crise qui a tout suspendu pendant plusieurs années, la fabrique locale a encore augmenté ses produits. Dans le même laps de temps, le salaire moyen a passé de 1 fr. 50 à 2 fr. 50 pour les hommes et de 1 fr. à 1 fr. 50 pour les femmes.

On se demande pourquoi cette industrie s’est établie là plutôt qu’ailleurs, et on n’en trouve aucun motif apparent. Avant 1789, il y avait à Flers une fabrique di toiles, mais peu importante. La petite ville de La Ferté-Macé, autre chef-lieu de canton du même arrondissement, avait alors l’avance pour, ces produits. C’est à partir de 1815, époque où le coton a commencé à s’introduire largement en France, que les progrès de Flers ont été sensibles. La Ferté-Macé et Condé-sur-Noireau, ses voisines, ont gagné aussi, mais moins vite. On aura une idée du développement qu’a pris l’industrie de ces trois villes quand on saura qu’elles mettent en œuvre le dixième du coton importé en France. Les coutils de Flers ont figuré avec honneur à l’exposition universelle, et l’exposition spéciale ouverte pendant la session de l’Association normande contenait des échantillons vraiment, admirables de qualité et de bon marché. 6,500 personnes ont, dans la seule journée du dimanche, payé les 50 centimes perçus à l’entrée de la tente élégante qui contenait cette exposition. Les traités de commerce n’ont eu aucun effet fâcheux sur l’industrie de Flers ; ils ont eu plutôt des effets favorables en lui ouvrant de nouveaux débouchés. Ses produits ont été jusqu’ici consommés surtout en France ; on y songe maintenant à travailler pour l’exportation. La crise du coton a été plus grave ; mais, grâce au bon esprit des ouvriers et des patrons, elle s’est passée sans trop de souffrances. L’industrie de Flers présente un caractère particulier, qui lui a été d’un grand secours ; le travail industriel y est intimement uni au travail rural, et les métiers y sont pour la plupart dispersés dans les campagnes ; l’ouvrier travaille à domicile, à côté de sa femme et de ses enfans.

Malheureusement cette union féconde tend à s’affaiblir. Jusqu’à la guerre d’Amérique, Flers ne possédait pas une seule de ces grandes