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côte. Toutefois, pour Wrangel, ces tentatives n’étaient qu’ajournées, et le désir de découvrir la terre que l’on croyait située au nord renaissait plus ardent chez lui le jour où Anjou lui annonça qu’il avait été, lui aussi, arrêté par une mer ouverte un peu au-dessus des îles de la Nouvelle-Sibérie. L’année suivante, mieux équipé, il part le 13 mars de la côte et ne tarde pas à rencontrer les mêmes obstacles qui l’avaient arrêté la première fois. Le 10 avril 1822, les indices du voisinage de la mer devinrent si nombreux et si certains que l’on fit une halte pour envoyer M. Matiouchkine reconnaître s’il était possible de pousser plus au nord. A peu de distance, par le 71e degré 52’ de latitude la mer couverte de glaçons brisés se déroule devant lui, et la débâcle, fortement accusée, lui permet de voir « de vastes champs de glaces s’élever comme des murailles au sommet des vagues, s’y heurter avec fracas, disparaître dans l’abîme couverts d’écume et reparaître mouillés de vase et de sable. Rien ne saurait donner, ajoute-t-il, une idée de cette effroyable destruction. L’immense surface glacée, morte et immobile, s’ébranle tout à coup, se rompt, et des montagnes de glaces soulevées par la vague sont lancées vers le ciel comme de légers éclats de bois. Le craquement retentissant et continuel des glaces se mêle au bruit des vagues courroucées. »

Aux prises avec de tels obstacles, on dut se frayer un chemin au nord-ouest. Dans cette direction, le 12 avril, d’épaisses vapeurs bleuâtres et les mugissemens terribles de la mer annoncèrent aux voyageurs que bientôt les flots allaient leur barrer le passage. Sous leurs pieds, la glace s’amincissait, les flaques se multipliaient et devenaient plus larges. Wrangel continua sa marche jusqu’au 70e degré 50’ ; mais la santé de ses hommes et l’épuisement des vivres le firent alors songer à la retraite. Dans un troisième et dernier voyage, en 1823, Wrangel s’éleva encore plus au nord, et put contempler de ses propres yeux une magnifique scène de débâcle. Au 70e degré 51’, subitement arrêté par une crevasse de plus de 300 mètres de largeur et dont la longueur ne pouvait être déterminée, Wrangel monta sur le sommet d’un rocher de glace d’où il n’aperçut devant lui « qu’une mer libre et sans limites. » En ce moment, balancées par la houle, les masses flottantes se jetaient sur les glaces encore solides et les brisaient. La débâcle se faisait avec une telle rapidité que la banquise qui les portait, à moitié fondue par la chaleur et attaquée sans cesse par les efforts combinés des vents et des courans, faillit céder sous le poids de la caravane et l’engloutir. Pour arriver à cette latitude, on avait bravé des difficultés inouïes, et l’espoir de découvrir une terre polaire venait de s’évanouir. « Il fallait renoncer, dit Wrangel, à atteindre au but de trois années de travaux incessans accomplis au milieu d’obstacles sans nombre, de dangers et de privations de toute espèce ! Nous avions fait du moins tout ce que l’honneur et le devoir exigeaient de nous. » On se trouvait au 23 mars, et déjà