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dernier s’avançait au nord du canal de Wellington, son second, Stewart, devait étudier les côtes occidentales du North-Devon. Le 30 mai, parvenu en traîneau au nord du détroit formé par l’île Hamilton d’un côté et le North-Devon de l’autre, le lieutenant Stewart aperçut devant lui une mer libre dont les côtes étaient couvertes d’oiseaux. Quelques jours après, le capitaine Penny, fatigué par une marche de cinquante lieues à travers un désert de glaces, venait à son tour se reposer au spectacle inattendu de cette nature vivante. Il retourna au quartier-général, fit construire à la hâte un canot, et le 17 juin, par 77 degrés de latitude, il baptisait du nom de sir John et de lady Franklin les deux points les plus avancés du détroit qui porte son nom. La mer, devant lui, s’étendait alors à perte de vue ; elle le tentait comme une sirène, mais la prudence commandait un prompt retour. L’année suivante, sir Edouard Belcher put forcer la banquise épaisse qui barre généralement l’entrée du détroit de Wellington pour aller hiverner sous le 76° 52’ de latitude. Au printemps de 1853, dans une course en traîneau sur les glaces, il arriva au détroit de John, et fut arrêté par une montagne flottante qui dérivait vers le sud. C’était le 20 mai. Aussi loin que portait la vue du haut de cette éminence, on n’apercevait aucune terre ; une mer libre roulait au loin ses vagues d’un bleu sombre.

Si au nord-est de l’archipel Parry tous les voyageurs qui se sont avancés jusqu’au 77e degré de latitude ont pu constater l’existence d’une mer libre, il n’en est pas de même à l’ouest du Groenland, où il faut s’engager dans les glaces épaisses du Smithsound, quitter le navire par 78 degrés et longer la côte en traîneau jusqu’aux 81e et 82e degrés pour arriver à l’océan polaire. C’est à deux intrépides Américains que nous devons la connaissance de ces faits. En 1853, l’initiative privée, toujours prête en Amérique à encourager et à soutenir quelque grand projet, réunit rapidement l’argent nécessaire pour armer une expédition arctique. Confié aux soins du Dr Kane, chirurgien de la marine américaine, un navire porta 17 volontaires au havre de Rensselaer par 78° 52’ de latitude. Après un rude hiver passé dans ces régions, où pour la première fois hivernaient des Européens, tandis que l’équipage était encore épuisé par les cruelles atteintes du scorbut, le 4 juin, le Groënlandais Hans et le steward Morton, les deux seuls hommes valides, quittèrent le navire emprisonné dans les glaces pour se diriger au nord.

Dès qu’on eut passé le gigantesque glacier de Humboldt, la marche fut relativement facile sur la glace, marine jusqu’au point où, cette glace devenant de plus en plus mince et fragile, les chiens refusèrent d’avancer. Morton, inquiet, attendit alors la chute de l’épais voile de brouillard qui les enveloppait. Tout à coup la brume se dissipa et permit aux voyageurs étonnés d’apercevoir à leur gauche le détroit de Smith libre de glaces et couvert d’un nombre prodigieux d’oiseaux. La marée se faisait sentir dans le canal de Kennedy, et le thermomètre plongé dans