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grands frais et de transmettre sans traducteur à l’enfant des villages les plus pauvres l’inspiration directe d’Athènes et de Phidias… » Avouons-le, la transmission sans traducteur de l’œuvre de Phidias, c’est un beau rêve qui ne se réalisera pas de si tôt. Il s’écoulera encore bien des années avant la formation de ces petits musées ruraux. En attendant, il y a quelque chose à faire. Nous ne nous dissimulons pas les difficultés, nous savons qu’elles sont grandes ; mais nous ne les croyons pas insurmontables. Les villes seules, assure-t-on, peuvent être pourvues de professeurs. Cela est malheureusement vrai, mais l’objection est plus spécieuse que juste. De l’aveu même des instituteurs, nombre d’entre eux ne sont pas d’habiles calligraphes ; sont-ils hors d’état pour cette raison d’enseigner l’écriture et de former d’excellens élèves ? Évidemment non. Plusieurs seraient de même capables, avec l’aide de méthodes claires, progressives, élémentaires, de donner des leçons utiles, d’éveiller, d’exciter le goût du dessin, que les enfans ont presque toujours. Avant de songer à former des lettres, les enfans n’ont-ils pas tenté de faire des bons hommes ? Nous nous rappelons tous quelques-unes de ces ébauches grossières que nous ou nos camarades nous dessinions avec tant de joie et de conviction. Ce beau zèle s’éteint faute d’aliment ou de direction, au grand détriment de ceux, qui l’avaient possédé. « Nous écrivons trop, disait Goethe, nous ne dessinons pas assez. » Et Goethe avait raison. Trois lignes ajustées bout à bout vous donneront mieux l’idée d’un triangle que les descriptions les plus minutieuses. Le mérite du dessin est de parler aux yeux là où la langue fait défaut. Le jour où les élémens du dessin seraient entre les mains de tous, ce jour-là, un nouvel outil serait donné aux hommes, et un grand service aurait été rendu.


Ch. d’Henriet.