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l’aristocratie anglaise a toujours compté comme sur une alliée naturelle. Ses privilèges lui semblent atteints dès qu’on touche à ceux du clergé. Elle ne pouvait donc se résigner sans lutte à des concessions qui, d’après ses idées, doivent entraîner la ruine du culte dominant en Irlande. Cette attitude n’intimide personne, elle était prévue. Au pays maintenant incombe un sérieux devoir, celui de faire prévaloir sa volonté. Les Anglais n’attendent point de ceux qui les gouvernent des complaisances hypocrites : libertés, droits politiques, réformes dans les rapports de l’église et de l’état, ils savent très bien tout acquérir par eux-mêmes. Ce qu’ils demandent aux pouvoirs, établis, c’est de céder à propos et de ne point trop longtemps méconnaître la véritable tendance des esprits. Nos voisins ne veulent pas plus d’un état sauveur que d’un état épuisant dans de folles résistances les forces viriles du pays. Dans un temps où la terre n’est plus la source unique de la richesse, où l’industrie, le commerce, la science, conduisent également à la fortune et aux honneurs, l’aristocratie anglaise exerce bien chez elle une sorte de magistrature ; en tout cas, ce n’est plus une caste. Elle commande à la condition d’obéir ; on exige d’elle qu’elle se plie et s’accommode à tous les changemens, à tous les besoins des sociétés modernes. Certes les bommes éminens ne lui font point défaut : le caractère et le talent la défendent beaucoup mieux que l’éclat des titres contre l’indifférence des masses ; mais pour vivre il faut aujourd’hui aux vieilles institutions quelque chose de plus, — le courage du dévoûment. C’est en se rapprochant chaque jour de l’opinion publique, en sacrifiant dans l’église et dans l’état des privilèges condamnés par le temps, que la pairie anglaise peut encore conserver quelque prestige à la tête d’un pays libre, entre les souvenirs d’un passé féodal qui s’évanouit et les conquêtes de la démocratie qui s’avance.


ALPHONSE ESQUIROS.