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aux traditions du catholicisme romain, et incarne en quelque sorte les idées de la réformation religieuse dans une solide hiérarchie. En Irlande, elle est étrangère ; en Angleterre, elle est nationale. Cette différence suffit très bien à expliquer comment les mêmes hommes qui demandent la séparation des deux principes pour l’île-sœur n’en veulent point du tout chez eux. Les libéraux déclarent avec énergie qu’il s’agit uniquement de détruire l’église d’état en Irlande, et Dieu me garde de soupçonner un instant la bonne foi de leurs assertions ! Je dois pourtant ajouter que ces assurances solennelles n’ont ni convaincu le clergé anglais ni calmé ses inquiétudes. Il a, comme on dit ici, flairé un rat, c’est-à-dire que sous cette première réforme politique il pressent des dangers bien autrement sérieux dans l’avenir. Quelle sera, se demande-t-il avec anxiété, la limite de ces exigences ? A supposer que les chefs du mouvement libéral soient sincères (et l’on n’a guère le droit de se défier de leur parole), n’y a-t-il point dans la marche des choses une logique plus forte que la volonté des hommes ? L’égalité des cultes ne franchira-t-elle point avec le temps l’étroit canal qui sépare l’Irlande de l’Angleterre ? En un mot, l’église protestante craint que la déchirure ne s’étende, et qu’après lui avoir arraché un membre de sa domination temporelle on ne lui demande plus tard bien d’autres sacrifices. Admettons que les esprits en viennent là. Le culte réformé ne ferait encore que subir une des conditions de la virilité des peuples modernes. Les religions dominantes ont le tort de raisonner comme si elles n’avaient à choisir qu’entre deux alternatives : être incorporées à l’état ou disparaître. N’est-ce point donner une triste idée de leur force et de leur mission divine ? Ma conviction est d’ailleurs que l’église anglicane, en raisonnant ainsi, ne se rend point justice. Elle, a pour elle les lumières, une longue influence acquise sur toutes les classes de la société, des services incontestables rendus à la raison humaine. Avec cela, on peut défier bien des événemens et des transformations politiques. L’exemple de l’Ecosse est là pour nous apprendre qu’un culte enté sur les convictions sérieuses des masses peut très bien vivre sans être soutenu par le gouvernement. Qu’on regarde aussi au-delà des mers les États-Unis d’Amérique, où chacun paie pour son église de même qu’il paie pour son club, et où le sentiment religieux n’a rien perdu à être libre. Le protestantisme anglais a quelque chose de mieux pour durer que l’alliance avec les pouvoirs civils : il a la confiance qu’il inspire aux esprits éclairés, et il ne tient qu’à lui d’étendre cet élément d’autorité morale.

Les craintes plus ou moins imaginaires qu’inspire au clergé la proposition de M. Gladstone viennent d’éclater dans une