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commises n’est-il point aujourd’hui dans la liberté ? Plus on écartera des croyances religieuses la main de l’état, et plus on aura lieu d’espérer les fruits d’une propagande active et désintéressée. Dans un pays comme la Grande-Bretagne, où tout se fait par l’initiative personnelle, une institution officiellement chargée par la couronne de travailler à la conversion des âmes n’est-elle point une choquante anomalie ? Que le protestantisme s’introduise en Irlande, mais qu’il y pénètre par les sociétés bibliques, les missions volontaires, l’intervention d’un clergé ne prélevant plus la dîme ; c’est le seul moyen pour lui d’exercer une influence vraiment efficace sur les esprits et sur les mœurs.

Quel est, au sujet du projet de loi rejeté par la chambre des pairs, l’avis des classes ouvrières ? Telle est la question qui préoccupe beaucoup les hommes d’état, et qui sera bientôt résolue par le scrutin. Le reform bill de 1868 a en effet créé toute une nouvelle couche d’électeurs avec lesquels il faut maintenant compter. Une des forces de la démocratie est qu’elle adopte volontiers toutes les souffrances et sympathise avec le malheur. Les ouvriers anglais s’intéressent aujourd’hui à l’Irlande, de même qu’ils tendaient, il y a quelques années, une main amie aux esclaves noirs d’Amérique. Le sentiment de la justice a été plus fort chez eux que l’antagonisme des races. Il ne faudrait sans doute point juger de tous les ouvriers anglais par ceux qu’on rencontre dans les meetings libéraux ; mais il est très certain que beaucoup d’entre eux ont abjuré leurs anciens préjugés envers l’Irlande, on peut même dire leurs antipathies, du jour où ils l’ont crue opprimée par leur propre église. Un fait a d’ailleurs contribué à leur ouvrir les yeux. Quiconque a observé de près le fenianisme est bien forcé de convenir que la question religieuse y tient très peu de place. Le mouvement est parti de l’Amérique, la terre de l’égalité des cultes. Ce parti fenian n’a pas plus trouvé grâce aux yeux du parti catholique qu’il n’a rencontré faveur auprès du clergé protestant. On peut lui reprocher bien des tentatives funestes, mais on ne l’accusera jamais d’avoir soulevé en Irlande l’étendard du papisme. Ceux même qui, comme M. Gladstone, proposent de rompre le lien entre l’église et l’état avouent très franchement que cette mesure aura peu