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trouve l’église du Christ. » Leurs ministres ont généralement appuyé le projet de M. Gladstone.

S’agit-il après tout de détruire le protestantisme en Irlande ? Non vraiment, on propose au contraire d’abaisser l’obstacle à ses progrès. Il serait sans doute à désirer pour l’intérêt des deux pays que l’Irlande et l’Angleterre eussent la même foi religieuse. Cette uniformité de croyances aurait écarté bien des malheurs, adouci les haines, épargné plus d’un crime ; mais a-t-on pris le meilleur moyen pour qu’il en fût ainsi ? Ce qui a le plus nui jusqu’à ce jour dans l’esprit des Irlandais à l’église anglicane, c’est son caractère officiel et politique. On ne l’a point demandée, elle s’est imposée, et fait nécessairement partie d’un ordre de choses qui réveille dans le cœur de la race soumise des souvenirs humilians. L’établissement forcé d’un clergé qui n’a pour lui ni les convictions ni les sympathies du plus grand nombre n’est peut-être point le grief le plus sérieux dont se plaigne l’Irlande, mais c’est à coup sûr celui qui frappe le plus l’esprit des masses. En voulant dicter ses articles de foi aux vaincus, l’Angleterre a au contraire fourni des armes aux superstitions qu’elle voulait combattre, et planté sur le clocher de chaque village un drapeau de discorde qui ralliera toujours les mécontens. Le catholicisme est en Irlande le symbole de la vieille nationalité précisément parce que l’église protestante est l’un des signes de la conquête. Ce qui donne de la vie aux religions est trop souvent ce qui s’y mêle d’étranger à leur principe. Les Irlandais, en s’obstinant à rester catholiques, ont couvert d’un manteau sacré leurs intérêts meurtris, leur amour-propre froissé, leur patrie éteinte. Entre deux églises dont le centre était également situé au-delà des eaux, ils ont choisi Rome contre l’Angleterre. Pour le reste du royaume-uni, le protestantisme a été un bienfait ; pour l’Irlande, il a été une très lourde charge. Obligée de payer un culte qu’elle ne pratique point, elle regarde d’un œil d’envie l’église du riche nourrie par l’église du pauvre. C’est bien en vain que les Anglais vantent, et pourtant avec raison, les vertus, les lumières du clergé protestant. « Que vous vouliez pour vous de l’église établie, leur répondent les Irlandais, nous n’avons rien à y voir ; mais que vous en vouliez pour les autres et surtout pour d’autres qui la repoussent, là est l’injustice. » Beaucoup persistent à se demander si l’effet n’eût pas été bien différent dans le cas où les idées de la réformation se fussent présentées à l’Irlande sans le signe de la domination anglaise. C’est la protection qui les a désignées à la défiance et à l’antipathie des masses[1]. Le moyen de réparer les fautes

  1. Une anecdote qu’on m’a racontée donner à une idée des sentimens qu’éprouve l’Irlandais pour le prêtre anglican, regardé par lui comme un fonctionnaire public et un homme riche. Un vieillard en guenilles, les cheveux et la barbe en désordre, entre un jour d’hiver pour demander l’aumône chez un ministre qui se chauffait devant une cheminée remplie de charbon de terre allumé. « Dans quel état vous êtes, mon brave homme, s’écrie le clergyman, on dirait que vous venez de l’enfer ! — J’en viens, répond sérieusement l’Irlandais. — Et qu’avez-vous vu là-bas ? — Mon Dieu ! les choses se passent à peu près comme ici : aux riches, le feu. »