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elle croit que la richesse est la source de sa force et de son influence. N’est-ce point au contraire cette grande accumulation de biens, cette énorme opulence, si contraire à l’esprit de l’Évangile, qui lui aliène le cœur des populations ? Une doctrine se recommande non point par ce qu’elle possède, mais par ce qu’elle enseigne. Les évêques protestans jettent aujourd’hui ce cri d’alarme : « l’église de Rome est à nos portes ; » mais beaucoup se demandent en Angleterre si ce ne sont point eux qui ont ouvert au loup l’entrée de la bergerie. En favorisant au moins de leur silence le parti des ritualists[1], n’ont-ils point préparé les voies à une réconciliation avec le chef d’une religion étrangère ? Il est un peu tard dans tous les cas pour évoquer le fantôme du papisme quand on a laissé faire tant de sacrifices aux idées qu’il représente. La condamnation des Essays and reviews, la déposition de l’évêque Colenso, le langage tenu dans les convocations, ne sont guère de nature à inspirer de la confiance aux libres études historiques. Si l’église anglicane veut rappeler à elle les sympathies des penseurs et des esprits éclairés, qu’elle élargisse le champ des interprétations de la Bible. On peut sans doute préférer les adorateurs d’un livre aux adorateurs d’une statue de plâtre ; mais pourquoi toujours des idoles ? En ce qui touche l’église établie en Irlande, les évêques anglais paraissent méconnaître entièrement l’état des choses. Si après trois cents ans elle ne se trouve guère plus avancée que le premier jour de sa fondation[2], ils s’en prennent à l’ignorance des Irlandais, ils accusent le gouvernement, l’esprit d’incrédulité, tout, excepté eux-mêmes. N’est-ce point pourtant leur étroite alliance avec les autorités civiles qui en grande partie a frappé de stérilité leurs efforts de propagande ? Un incident fâcheux vint encore altérer l’effet du meeting tenu dans Saint-James’s-Hall. M. Stanley, doyen de Westminster, tout en approuvant la résistance de ses confrères au bill de M. Gladstone, insinua que l’église unie d’Angleterre et d’Irlande devrait nécessairement subir quelques changemens dans ses rapports avec l’état. A l’instant même, un tumulte épouvantable éclata dans l’auditoire. L’archevêque de Canterbury lui-même, qui présidait cette séance,

  1. C’est le nom qu’on donne à cette fraction de l’église haute qui a introduit dernièrement dans les temples les rites de l’église catholique, tels que les processions, les cierges, les fleurs, les ornemens sacerdotaux. Ce mouvement a un côté puéril, et un Anglais comparait les ministres qui le conduisent a « de grands enfans jouant à la petite chapelle ; » mais tout est sérieux dans les croyances, et il y a très certainement lieu de considérer le ritualisme comme un pont jeté sur l’abîme qui sépare de Rome l’Angleterre réformée.
  2. L’œuvre n’avance point ; reculerait-elle ? En 1672, la proportion des catholiques aux protestans était de 8 contre 3, tandis qu’aujourd’hui on compte 4,505,000 catholiques romains et 1,293,000 protestans, dont moins de 700,000 appartiennent à l’église anglicane.