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voisin et l’ennemi naturel. Ne semble-t-il pas qu’en expiation de ce passé fatal elle soit condamnée à relier, sous peine d’anéantissement, ce qu’elle a toujours divisé autrefois ? Les Grisons étaient donc les ennemis des Tyroliens. Le bouquetin ou boue sauvage, emblème des premiers, n’était jamais en paix avec la corneille, signe de ralliement des seconds. Une ballade sur le combat de Malserhaïde contient des strophes curieuses sur ces symboles d’inimitié.


« Le noble bouquetin, quand il vit des étrangers chez lui : 0 corneille, dit-il, est-ce que j’ai fait quelque dégât dans ton nid ? Jamais ton arrivée n’est d’un bon présage, je saurai châtier ton insolence…

« Et le bouquetin donna la chasse à la corneille dans la forêt. — Corneille, tu ne pourras m’échapper cette fois, tu paieras pour tout ce que j’ai souffert, et je te ferai tant de mal que ce bois et cette prairie en seront rouges de sang.

« Elle s’envola à travers la forêt, lissant de son mieux son plumage ; mais on pluma si bien le vieil oiseau, on tira, on éplucha si bien sa queue qu’elle en perdit toutes ses plumes : jamais elle ne s’était trouvée à pareille danse.

« O corneille, tu résistes en vain, on te lavera dans ton sang jusqu’à la chemise ; tu seras peignée et démêlée avec nos piques. Tu connaîtras désormais les paysans de la ligue grisonne ! »


Le bouquetin désormais fit alliance offensive et défensive avec le bœuf d’Uri et la vache d’Unterwalden. Remarquez qu’aucun lien de parenté ne les unissait : les Grisons, nation hybride, se composent d’Allemands, d’Italiens et surtout de Romanches, fond principal de la vieille Rhétie. Le bouquetin parle plusieurs langues ; et l’auteur de la ballade de Malserhaïde nous avertit qu’il chante ses strophes en pays welsche comme en pays allemand. Déjà la Suisse n’était plus allemande.

C’est à Dornach, près de Bâle, le 22 juillet 1499, que se termine la guerre de Souabe avec notre dernière tournée. Quand on va de Liestal à Dornach en traversant un pays plantureux d’herbages et de vergers, on rencontre le village de Gempen dans une de ces pâtures un peu hautes qu’on appelle dans le pays haiden. Là s’arrêtèrent les confédérés, qui, appelés au secours par leurs amis de Dornach et avertis que les ennemis n’étaient pas sur leurs gardes, avaient quitté Liestal, où ils étaient chargés de défendre l’entrée de l’Argovie et de garder pour ainsi dire le seuil de la Suisse. Si vous montez sur l’un des rochers crénelés de la Schartenflue, qui est tout auprès, ainsi que le firent les chefs de cette troupe, vous voyez