Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/1020

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chie, si elle se déchaînait, qui ferait merveilleusement les affaires de l’infant don Carlos. Est-ce le prince Alfred d’Angleterre qui sera roi d’Espagne ? La perspective de la restitution de Gibraltar apportée en dot par un prince anglais est certes fort tentante ; mais les Espagnols n’y ont pas cru sérieusement sans doute. L’Angleterre ne paie pas à ce prix des couronnes pour ses princes, et alors il ne resterait qu’un roi, seul protestant dans son royaume. Est-ce le prince Amédée d’Italie qu’on ira chercher ? Il y a eu quelques tentatives, si nous ne nous trompons ; elles ne sont pas allées bien loin. En définitive, plus on poursuivrait cet examen, plus on s’apercevrait que le cercle se resserre, que le choix des Espagnols est circonscrit entre deux ou trois candidatures sérieuses, le roi dom Fernando, père du roi actuel de Portugal, bien entendu sans l’union ibérique, dont ne veulent ni les Portugais ni les Espagnols, le duc et la duchesse de Montpensier, comme Guillaume et Marie en Angleterre après 1688. Nous ne nous chargeons pas de prévoir ce qui sortira de cette mêlée, d’autant plus qu’il y a un élément dont nous n’avons rien dit et qui est le plus important, quoique le plus indéfinissable : c’est l’imprévu, qui peut dérouter toutes les combinaisons, tous les projets de ceux qui se croient maîtres des destinées de l’Espagne.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est la signification en quelque sorte européenne qu’on a voulu assigner à cette révolution espagnole en la rattachant aux mystérieuses combinaisons de la politique générale. Dans ses plans savamment conçus pour la guerre prochaine, la France avait besoin de l’alliance du gouvernement de Madrid, comme elle avait besoin de l’alliance de l’Autriche et du Danemark ; elle donnait à l’Espagne le rôle de gardienne de Rome pendant qu’elle serait elle-même engagée en Allemagne. Par contre, M. de Bismarck aurait été naturellement intéressé à faire échouer ce beau plan en mettant à mal le gouvernement de la reine Isabelle, et il aurait merveilleusement réussi, on le voit ! Ce qu’il y a d’infiniment plus probable, c’est que M. de Bismarck ne s’est pas occupé de la révolution espagnole, et que les rapports du gouvernement français avec le gouvernement de Madrid n’avaient nullement le caractère qu’on suppose. S’il y a eu dans ces derniers temps des communications entre l’empereur et Isabelle, on pourrait dire que ces communications n’avaient d’autre objet que d’éloigner une entrevue fort désirée par la reine, de prémunir cette malheureuse princesse contre les suites de la politique qu’elle suivait avec une passion si obstinée. C’est là tout probablement. Que cette révolution espagnole ait à un certain point de vue un sens général et supérieur, nous le voulons bien. Elle vient montrer avec une saisissante opportunité à ceux qui se chargent de conduire les peuples le danger des politiques abusives, et la France elle-même, qui est aujourd’hui un peu inoccupée à l’intérieur, qui est dans un moment de halte, d’attente et de transition, la France peut en faire son profit comme bien d’autres pays.