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« La Bourgogne a fui, disait un poète après Granson. C’est pourquoi réjouis-toi, ô chrétienté, car tu étais perdue ! S’il avait vaincu, le saint-empire romain serait en ruine, le duc n’avait pas d’autre pensée. »


Et après la mort de Charles :


« Il s’estimait l’égal d’Alexandre, il prétendait soumettre à son joug tout, l’empire. Dieu a fait tourner son dessein à l’enseignement des hommes. La ligue est venue et l’a châtié. L’orgueil de Charles s’est vite évanoui dans la bataille. »


A Blamont, comme à Héricourt, la ligue est donc ferme et sincère, chevaliers et hommes du peuple combattent côte à côte. Et que dire de l’archiduc d’Autriche, qui a oublié ses éternels combats contre les Suisses ? L’habile et pénétrant Comines n’en revient pas ; ce lui est un motif de plus d’admirer le savoir-faire de Louis XI. Il a raison, et ce savoir-faire consista précisément à mieux juger que le Téméraire le parti que l’on pouvait tirer de ces masses allemandes mal unies, toutes rompues en morceaux, mais qui s’attiraient entre elles.


« Les vexations, dit la chanson de la paix éternelle avec l’Autriche, et les violences ont établi entre nous la communauté. Grands et petits dans les cités allemandes ont dit également : Plutôt que d’être Bourguignons, nous deviendrons Suisses et confédérés ! »


Plus de haines entre l’archiduc d’Autriche et les cantons ! Les ballades ne désignent plus ces fâcheux souvenirs que par les euphémismes les plus naïfs.


« Dignes confédérés, vous fîtes bien quelque peine autrefois au noble prince ; mais cela est bien oublié, tout à fait oublié, grâce à son extrême indulgence ! Vous êtes désormais la flèche dans laquelle il se confie, la base sur laquelle il veut bâtir. »


Toute la physionomie de cette armée bariolée qui n’avait de commun que la langue se retrouve dans les chants. Ses divers sentimens respirent à travers ces strophes et les enflamment. Et, par exemple, d’où venait que les Suisses étaient si redoutés quand la victoire commençait à pencher pour eux ? C’est qu’ils ne savaient pas encore faire de prisonniers, le commerce des grosses rançons leur était inconnu. Quel échange pouvait exister entre des chevaliers et des paysans révoltés ? Tous les combats pour eux finissaient donc par des tueries.


« Les téméraires de la grosse armée welsche furent terrifiés ; ils prirent la fuite en toute hâte, ils craignaient d’être égorgés… »