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croient. Ce serait bien facile, si toutes les provinces de l’Espagne ressemblaient aux provinces basques, qui ont leurs traditions, leurs coutumes, leurs représentations locales, leur autonomie, qu’elles défendraient par les armes, si on les attaquait ; mais il n’en est point ainsi, la plupart des autres provinces sont depuis longtemps fondues dans l’unité espagnole. La république, elle peut sans doute faire son apparition au-delà des Pyrénées ; elle peut naître par surprise, à la faveur d’un interrègne prolongé et agité. Il est malheureusement à peu près certain qu’elle ne serait qu’une forme de l’anarchie, qu’elle ne ferait qu’exciter toutes les passions, toutes les rébellions locales, toutes les discordes, et qu’elle conduirait bientôt à une de ces deux extrémités : ou bien elle irait se perdre dans des réactions nouvelles, ou toutes les provinces de l’Espagne deviendraient bientôt autant de républiques de l’Amérique du sud livrées aux rivalités et aux ambitions. Qu’on remarque d’ailleurs l’état des esprits. Il y a quelques républicains au-delà des Pyrénées, et un programme de république fédérative a été répandu en Catalogne. A Madrid, le mot de république n’est même pas prononcé. On brise les écussons de la dernière reine sans rien dire contre la royauté. Dans leur premier manifeste, les généraux maintenaient la monarchie ; depuis, ils ont été plus réservés. Il est bien clair cependant qu’ils n’ont pas eu un moment d’incertitude, et le général Prim lui-même, dans une lettre plus sérieuse par le fond que par la forme, vient de déclarer que pour lui non plus ce n’était pas une question, qu’à ses yeux a l’idéal politique de l’Espagne contemporaine, » c’était « la monarchie constitutionnelle. » C’est que les uns et les autres sentent la vérité de la situation morale et politique de l’Espagne.

Cette révolution, elle sera tout ce qu’on voudra ; elle proclamera toutes les libertés, même la liberté des cultes, qui est certes la plus légitime, mais qui ne sera pas la plus facile à établir ; elle pourra prendre un caractère de réaction contre toutes les influences cléricales et absolutistes qui ont prévalu pendant trop longtemps ; au fond, elle n’est pas républicaine ; elle met vraiment trop de façons à prononcer le nom de la république, et les chefs les plus éclairés du parti démocratique n’en sont plus à s’y méprendre. Mais alors comment refaire une royauté ? où trouver un roi et une dynastie ? Il serait peut-être plus facile de dire ce qui est impossible dès ce moment que de voir distinctement la combinaison qui triomphera. Ainsi la royauté du prince des Asturies avec une régence avait peu de chances, et la protestation acerbe de la reine Isabelle a achevé de la tuer. La révolution a réveillé évidemment les espérances carlistes, et le représentant actuel de cette cause, l’infant don Carlos, s’est remis en campagne. S’il n’est pas allé en Espagne, il est allé sur la frontière, il a sondé le terrain ; mais les provinces basques ne se soulèveraient que si on attaquait leurs privilèges, et le drapeau carliste est peu populaire dans le reste de l’Espagne. Il n’y a que l’anar-