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est tombé pour avoir été sincèrement et loyalement libéral, pour avoir suivi les inspirations de l’opinion, pour avoir su céder à propos devant le mouvement d’un pays ? La reine Isabelle va grossir le cortège des royautés de l’exil, dernière et saisissante image de ces pouvoirs abusés qui croient se garantir par la résistance, qui se fient à la force pour les absoudre de leurs fautes, et qui ne font que mieux assurer leur ruine.

Elle est donc maintenant accomplie cette révolution espagnole, et elle a cela pour elle que rien ne la contrarie, rien ne la gêne dans son triomphe ; elle ne rencontre ni résistance, ni hostilité, ni malveillance autour d’elle. Elle n’a eu qu’à paraître, aussitôt tout s’est littéralement effrondré. Est-ce à dire que cette révolution ait été l’œuvre d’un soulèvement spontané, universel et irrésistible du peuple ? Nullement, c’est l’armée qui l’a faite, et par là la révolution espagnole du 29 septembre ressemble encore à toutes celles qui l’ont précédée. Madrid du soir au lendemain s’est trouvée libre sans combat, et la junte révolutionnaire a reçu le pouvoir du dernier ministre de la reine Isabelle, du général Coucha lui-même. Toutes les villes de l’Espagne ont fait leur pronunciamento et ont eu leur junte. En un instant, tout s’est trouvé accompli au cri de : a bas les Bourbons ! L’unanimité a été complète au moins en apparence. Mais c’est ici que commencent les difficultés pour cette révolution, œuvre de trois partis alliés dans la lutte, l’union libérale, les progressistes, le parti démocratique, et la première de toutes les difficultés a été la formation d’un gouvernement provisoire en attendante réunion d’une assemblée constituante chargée de décider souverainement des destinées de l’Espagne.

On avait eu d’abord l’idée de former une sorte de triumvirat composé du général Serrano, du général Prim et de M. Salustiano Olozaga, immédiatement appelé de Paris, où il se trouvait en exilé. M. Olozaga, qui a été certainement un des plus opiniâtres et des plus actifs promoteurs de la dernière insurrection, mais qui est encore plus orateur qu’homme d’action, encore plus habile dans l’art de préparer les révolutions que dans la manière de les conduire quand elles sont faites, M. Olozaga a hésité au premier instant ; il a refusé de partir, puis il est parti ; il a manqué de décision, il a voulu peut-être se ménager, et pendant ce temps on finissait à Madrid par s’en tenir à un ministère composé de membres de l’union libérale et de progressistes avec le général Serrano comme chef supérieur et le général Prim comme ministre de la guerre. Tout ce qu’on peut dire de ce premier cabinet de la révolution, c’est que les hommes sont nouveaux, et quelques-uns, comme M. Lorenzana, M. Ayala, M. Figuerola, ne sont pas sans talent. Le parti démocratique n’a aucune place dans le ministère ; mais on lui a donné une compensation en faisant un premier alcade de Madrid d’un de ses principaux chefs, M. Nicolas-Maria Rivero, esprit assez supérieur pour ne pas dépasser certaines limites dans les opinions démocratiques.