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près avoir parcouru ce cercle de connaissances usuelles qu’on arrive aux lettres de l’alphabet, à ces caractères abstraits qui sont les plus « difficiles à lire » et qui exigent déjà un certain exercice de l’intelligence et de la main pour qui veut les reproduire un à un et les assembler afin de réaliser l’expression de sa pensée. On le voit, le côté pratique prime nettement ici l’instruction qui a pour but d’éclairer et de former le goût. L’enfant dessinera les premiers contours des objets réels avant même d’avoir vu les lettres. Les figures élémentaires, rudimentaires, si l’on veut, pourraient être, non pas plus nettes, car elles sont très suffisamment caractéristiques, mais plus correctes. Elles manquent d’art, cela est incontestable autant que fâcheux. L’auteur a tort selon nous de s’arrêter à moitié chemin. Il cherche seulement une certaine vulgarisation du dessin comme moyen général de comprendre et de faire comprendre les formes essentielles des choses. Il vise au bon marché, de façon que l’étude qu’il préconise soit à la portée des plus pauvres. Il supprime dans la plupart des cas le papier, dont l’emploi est dispendieux, et le crayon, qui s’use vite ; il les remplace par l’ardoise et le crayon d’ardoise. L’usage du papier à dessin n’est recommandé que pour les élèves qui ont acquis déjà une certaine force relative. Ce que devient l’art dans cet enseignement, il serait difficile de le déterminer avec quelque certitude.

L’art américain tenait une place honorable à côté de celui de la Grande-Bretagne ; mais l’exposition des artistes américains, plus remarquable en sculpture que dans les œuvres peintes, indiquait que le Nouveau-Monde n’a point encore trouvé une forme nouvelle du beau. Nombre de ses peintres et de ses sculpteurs n’étudient pas en Amérique, ils étudient chez nous. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils se rattachent par plus d’un côté à nos traditions. D’ailleurs les expositions révèlent à peine ce qui s’est fait dans les divers états pour répandre les premières notions d’art. Sur ce point, les États-Unis d’Amérique ne semblent pas avoir été curieux de renseigner la vieille Europe. Leur école modèle de l’Illinois n’a pas fait montre des cahiers d’esquisses de ses élèves. Nous pouvons donc croire qu’on n’est point fort avancé de ce côté. Les grandes villes ont des cours de dessin pour les enfans et pour les adultes ; mais certains élémens de progrès font défaut. Professeurs nombreux et habiles, bons modèles, aptitude de race, longue chaîne non interrompue d’une tradition d’art, rien de cela n’existe encore en Amérique. Dans les états du sud même, où l’art a été importé d’Espagne ou des Flandres, il est resté étranger au sol. Partout les grandes collections manquent ; elles ne manqueront pas longtemps. Les Américains ont la richesse, à l’aide de laquelle on acquiert tous