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détruire à son profit. Nous avons dit qu’il existait déjà, mais il était encore faible ; il se glissait silencieusement à travers cette nature si forte, si vivante, si effrayante par son énergie, et qu’il devait pourtant abattre, peut-être était-il déjà bien éloigné de sa première origine ; de récentes observations tendraient à le prouver. M. l’abbé Bourgeois a recueilli dans le calcaire de Beauce des silex qui lui ont paru travaillés par la main de l’homme ; ces vestiges nous reporteraient en plein terrain miocène. Dernièrement une mâchoire de rhinocéros de la même époque a présenté une entaille visible ; le plus sage est de ne pas se prononcer et d’attendre.

La forêt submergée de Norfolk, dont nous avons cité plus haut les sapins, était fréquentée par l’éléphant méridional, auquel se joignaient le rhinocéros à narines minces, un grand hippopotame, un castor gigantesque, et, chose encore plus remarquable pour un dépôt qui touche à l’époque quaternaire, un singe du genre des macaques. Un fait analogue a été signalé par M. Gervais dans les sables presque contemporains de Montpellier, où il a observé deux singes. Il faut conclure de ces faits que le refroidissement du climat européen était alors bien peu avancé, circonstance qui a dû favoriser le développement des premières races humaines bien plus que ne l’aurait fait un froid violent. En effet, des indices certains de la présence de l’homme ont été rencontrés à Saint-Prest, non loin de Chartres, dans un dépôt de sables et de cailloux renfermant les mêmes espèces d’animaux que la forêt submergée. C’est en retirant de leur gangue sableuse les ossemens de ces animaux que M. J. Desnoyers remarqua des entailles et des incisions provenant d’une main humaine et pareilles à celles que les races moins anciennes de l’âge de pierre pratiquaient sur les crânes et les os longs des animaux dont ils se nourrissaient pour en extraire la moelle ou en détacher les parties molles. Cette découverte fut d’abord accueillie avec incrédulité, mais elle a fini comme tant d’autres par être acceptée comme l’expression de la vérité. Depuis, M. l’abbé Bourgeois en a confirmé l’authenticité en recueillant dans le même dépôt des silex taillés en tête de lance, en poinçons, en grattoirs, mais si grossièrement travaillés qu’il faut un œil exercé pour y reconnaître la main de l’homme.

Telle est la date la plus reculée où il se laisse entrevoir en Europe ; nous le trouvons armé déjà, vivant de proie, s’attaquant aux plus grands animaux, les dépeçant pour s’en nourrir, et par conséquent connaissant le feu ; mais quelle était cette race, que sait-on de sa taille, de son aspect, de ses aptitudes ? Il est impossible de répondre à ces questions ; il faut même traverser toute la période qui correspond au phénomène erratique du nord pour retrouver