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dominer ; il faut donc dire ce qu’était celle-ci au moment où l’homme y fit son apparition.

L’Europe était, comme nous l’avons dit, presque entièrement séparée de l’Asie. Les alentours de l’Oural et de l’Altaï, ainsi que les profondeurs de la Sibérie, formaient une vaste région humide, basse, coupée de forêts et de marécages, sillonnée de puissantes rivières, peuplée de mammouths, de rhinocéros et d’autres grands animaux appropriés à un climat déjà froid, mais qui n’avait rien d’excessif. Les animaux, après s’être multipliés sans obstacle, formaient d’immenses troupes, et étendaient librement leurs courses jusque sur les bords de l’Océan arctique. Il est aisé de concevoir que les mammouths et les rhinocéros, attirés dans le nord par la belle saison et la bonté des pâturages, aient été plusieurs fois surpris par des crues, des inondations passagères, et se soient enfoncés dans la boue glacée de ces parages ; c’est à de pareils accidens que se réduisent sans doute les révolutions subites auxquelles on a jusqu’ici attribué la conservation de leurs cadavres. Au lieu de voir partout l’action de catastrophes, il faut presque toujours invoquer celle d’un temps très long. Les blocs erratiques, les cailloux roulés, les graviers et les limons de toute provenance, le remplissage des cavernes, le creusement des vallées, paraissaient d’abord dépendre d’une cause unique, violente et passagère ; plus tard, en considérant ces phénomènes de plus près, on en a reconnu la complexité, on a essayé de démêler les effets caractéristiques de chaque ordre particulier de forces et d’en déterminer la succession et l’importance relative. C’est ainsi que l’on a dû tenir compte du temps qu’exigent évidemment le polissage des cailloux roulés, l’érosion de certains terrains, le dépôt des concrétions de tufs. Enfin on a expliqué par l’action des glaciers et des glaces flottantes le transport des blocs erratiques et d’une foule de matériaux dont la présence était restée jusqu’alors une sorte d’énigme[1]. S’il est maintenant une vérité acquise, c’est la diversité des causes qui ont agi pendant l’époque quaternaire, ou pour mieux dire la distribution de ces causes par régions et l’antériorité des unes par rapport.aux autres. Ce point de vue une fois adopté, il ne reste que la surprise qui naît de l’intensité des phénomènes. Tout semble alors taillé sur un plus grand patron : non-seulement les animaux dépassent la proportion ordinaire ; mais les glaciers sont immenses, les rivières s’élèvent bien au-dessus du niveau actuel, des blocs erratiques d’un volume démesuré sont transportés à des distances et à des hauteurs prodigieuses, le limon provenant des pluies est si épais

  1. Sur les Glaciers et la période glaciaire, voyez une série d’articles publiés dans la Revue par M. Ch. Martins, livraisons des 15 janvier, 1er février et 1er mars 1867.