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l’autre aux Celtes, le dernier enfin aux nations slavo-germaniques. Une foule d’indices, d’expressions et d’idées retenues en commun révèlent les stages prolongés que firent les tribus composant ces trois derniers groupes avant d’entreprendre le voyage de plusieurs siècles qui du fond des steppes les amena par divers chemins jusque dans le centre de l’Europe. Nous ne connaîtrions pas les hautes vallées du Belourtag, vers le cours supérieur de l’Oxus, où l’accord des principaux savans place le berceau des Aryas, que la paléontologie du langage nous en peindrait fidèlement l’aspect et les productions. Le pays devait être rude ; le froid, l’hiver, la neige, sont désignés par des mots constans et précis qui ont survécu partout dans les langues aryennes. Le sanscrit hima, froid, d’où Imaüs et Himalaya, correspond à hiems ; le zend cniz, neiger, au latin nix et au lithuanien snigti, de même que gal, froid en sanscrit, concorde avec notre gal, en latin gelu, en persan j’al, en ancien allemand kald, en lithuanien geluma. La signification de vêtement donnée au printemps indique bien que les arbres dépouillés de leurs feuilles en revêtent alors de nouvelles ; la richesse des mots de toute sorte qui expriment le mouvement de l’eau, le cours des rivières et des torrens[1], le sens de diviser, de fendre, appliqué aux vallées[2], les termes variés qui désignent les escarpemens et l’idée de blancheur qui s’y joint, ces indices dénotent une région accidentée, coupée de montagnes neigeuses et de vallées profondes, sillonnée par des cours d’eau, des torrens et des cascades. Ce cadre prédisposait les Aryas à la vie pastorale, et tout la révèle en effet dans les élémens les plus primitifs de leur langage. L’enclos des vaches est le lieu où s’exerce l’hospitalité, où réside le père de famille, dont le nom se confond avec celui de pâtre ; la fille est celle qui les trait, la montagne le sol qui les porte. Les heures du jour, les notions d’opulence, de pauvreté, de violence, de ruse, sont toujours relatives à la possession ou à la perte du bétail et à ses habitudes. Les bœufs faisaient la principale richesse des Aryas, les vaches idéalisées se montraient à eux dans les nuages, dans les constellations,

  1. Il serait trop long de citer les noms de rivières dont l’étymologie se rattache directement au sanscrit ; la plupart des cours d’eau européens sont dans ce cas : au sanscrit arna, arnava, fleuve, répondent l’Arno, l’Arnon, l’Orne, l’Erne, le Rhin ; à Vari, Var, rivière, le Var, l’Arve, l’Aar ; à Dravanti, rivière rapide, la Durance, la Drave, la Drance, la Drôme, à Taranta, torrent, le Tarn, le Taro et le mot torrent lui-même. On doit encore rapprocher du sanscrit avani, en cymrique awon, rivière, l’Avon en Angleterre, l’Haveaune en Provence, l’Avens et l’Aventia en Étrurie. Il serait facile de multiplier ces exemples.
  2. Vallée se nomme en sanscrit dara, dari, dardara, en persan darah, en irlandais dal, en ancien allemand tal ; la racine sanscrite originaire est dar et dal, qui signifie diviser, fendre, déchirer. — Le sanscrit marmaru, rocher, est reproduit exactement par le latin marmor, qui est devenu notre marbre.