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Salomon l’avait enfermé, prenait rapidement des proportions gigantesques. Nul doute que les Aryas n’aient d’abord commencé de s’étendre sur les pays contigus à leur premier berceau. Ce qui a dû se passer alors s’explique beaucoup mieux en supposant une extension progressive qu’en imaginant de vastes migrations, sortes de colonies ambulantes se dirigeant vers un but déterminé. Dans cet état de diffusion, les parties les plus éloignées du centre se créent aisément de nouveaux intérêts ; on parle toujours la même langue, mais les diversités des dialectes finissent par s’accentuer, et la même influence dissolvante modifie la religion, les usages et les mœurs. Quand la race est jeune, ces différences se produisent avec d’autant plus de rapidité que le développement n’en est entravé par aucun de ces correctifs qui agissent chez les nations plus avancées, — la littérature, les traditions explicites, une organisation politique plus ou moins centralisée. Si tout est vague, comme le pense M. Renan, à l’origine du langage, avant que l’homme n’ait défini la portée des termes qu’il emploie, les élémens qui constituent la nationalité ne sont pas moins flottans à l’origine des sociétés ; celles-ci s’agitent inconscientes d’elles-mêmes, et marchent devant elles, oublieuses du passé, imprévoyantes de l’avenir.

Les Aryas, cédant à ce mouvement d’expansion, commençaient à se partager en plusieurs groupes à l’époque où nous reporte l’étude du sanscrit comparé avec le zend et les divers idiomes européens. La communauté originaire de langage, de pensées et d’usages ressort de cette comparaison avec une évidente clarté ; mais on voit en outre se dessiner des divergences de plus en plus marquées. Un fonds commun se laisse apercevoir dans lequel chaque groupe est venu puiser les expressions qu’il a préférées. Ce choix n’a d’ailleurs rien d’arbitraire ; si les diverses branches montrent un accord remarquable sur certains mots, c’est que l’idée représentée par ces mots s’applique à des objets que toutes ont également connus, et qui depuis n’ont pas assez changé pour motiver l’emploi d’une expression nouvelle. Dans d’autres cas, le vocabulaire ancien comprend plusieurs termes, et chaque groupe en a conservé un ; mais les découvertes postérieures à la séparation déterminent la formation de termes nouveaux ou détournés du sens primitif, communs aux seuls groupes qui ont connu l’objet que ces termes désignent. Ainsi bien des mots demeurés la propriété exclusive des Hindous et des Iraniens réunis ou de l’ensemble des races européennes permettent de croire que les Aryas, qui finirent par se diviser en autant de rameaux que l’on compte de familles de langues dérivées, se sont d’abord partagés en deux groupes, l’un oriental, l’autre occidental. Ce second groupe lui-même a dû un peu plus tard se scinder en trois autres, l’un correspondant aux Gréco-Latins,