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directement. Elle leur doit ses mœurs, ses tendances, ses idiomes ; elle tient d’eux la hardiesse et la flexibilité, la vigueur et la grâce, la fécondité d’invention et l’idéalisme tempéré par un juste sentiment du réel, qui caractérisent son génie. L’intérêt qui s’attache au sanscrit et au zend s’explique ainsi de lui-même.

Grâce aux travaux des philologues anglais, étendus et complétés par ceux de l’illustre Burnouf, d’Ewald, des frères Grimm et dernièrement de M. Max Müller, la paléontologie linguistique a été fondée par le dépouillement de toutes les formes propres aux idiomes aryens. On a pu reconnaître alors jusqu’à quel point le caprice se trouve exclu des combinaisons grammaticales en apparence les plus irrégulières. Soumise à une marche dont elle ne s’écarte jamais, chaque famille de langues a son organisation caractéristique qui persiste au milieu des changemens les plus complets. L’étymologie n’est plus un simple jeu de l’esprit ; elle se trouve astreinte à des règles inflexibles. C’est ainsi qu’à travers une foule de modifications partielles on remonte de branche en branche jusqu’à la souche mère et à la racine la plus ancienne. Or, le mot n’étant chez l’homme que l’expression matérielle de l’idée, il est visible que toutes les races chez qui le même mot est resté en usage ont dû être originairement en possession commune de l’idée ou de l’objet que ce mot représente. C’est une tâche de ce genre que s’est imposée M. A. Pictet en publiant le grand ouvrage où il a condensé toutes les recherches relatives aux Aryas primitifs. Malgré l’éblouissement que cause à l’esprit un tel assemblage de notions d’inégale valeur, au sortir de cette lecture on voit se dresser plein de vie le tableau de ces anciens âges, comme s’il s’agissait d’une société ou d’un pays que nous eussions encore sous les yeux. Dans la langue des Aryas, on retrouve presque intacts, à côté d’une foule de radicaux plus ou moins méconnaissables, certains mots encore en usage. Cette langue primitive doit elle-même avoir traversé plusieurs phases ; elle s’adapte évidemment à une longue période, pendant laquelle la race qui la parlait, d’abord compacte et condensée, a plusieurs fois changé de mœurs et d’habitudes, a vu ses liens se relâcher, et a commencé ce mouvement d’expansion qui du centre de l’Asie devait l’amener aux deux extrémités de l’ancien monde.

On a recherché la région d’où les Aryas primitifs sont sortis, et on a pu en fixer les limites au-delà du haut Indus et de l’Imaüs, non loin des sources de l’Oxus ; mais on se tromperait sans doute, si, mesurant la cause à la grandeur des résultats, on voyait une nation là où originairement il n’y a eu qu’un petit peuple, perdu au fond de quelques vallées. Le génie des races humaines est comme celui des contes arabes qui, après avoir quitté le vase étroit où