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bien que rien n’y ressemble à ce que nous sommes convenus d’appeler village. L’église, qui sert de centre à ce noyau de population catholique, a été placée dans une heureuse situation sur le versant d’une colline, d’où elle domine une vallée que se sont partagée les fermes. J’y allai par une après-midi d’automne qui donnait je ne sais quelle grâce voilée à ce paysage un peu monotone. C’était un dimanche, et nous rencontrâmes dans une maison voisine de l’église une réunion de dix ou douze personnes, hommes et femmes, qui mettaient à profit le repos du jour du Seigneur pour deviser en commun. Notre arrivée fit tourner au français la conversation, qui se tenait en anglais, car les deux langues étaient également familières à ces braves gens, mais je suis forcé d’ajouter qu’en changeant la forme ils ne changèrent pas le fond de leurs discours, lesquels consistaient à se plaindre de leur curé. Les uns trouvaient bien cher que chaque famille eût à payer cinq gourdes par an pour des soins spirituels trop parcimonieusement dispensés, ledit curé habitant à Sydney ; d’autres disaient que tout au plus pour ce prix le voyait-on une fois par mois sur la route. C’était le combat singulier des deux affections également vivaces que le vieux paysan français nourrissait pour ses écus et pour son église, car, tout en se récriant sur la cherté des prix du curé, aucun d’eux n’eût songé un instant à lui refuser son tribut. Dans une chambre voisine, une jeune et jolie Irlandaise, mariée à un Français, enseignait le catéchisme à une bande d’enfans, garçons et filles. — Comment vous nommez-vous ? demandai-je à l’une de ces dernières. — Jane Gauterot, répondit la petite voix. — Toujours le mélange des deux langues, le nom de baptême devenu anglais, le nom de famille restant français. Ce petit centre acadien ne se compose guère que de 500 ou 600 âmes. Malgré son appellation française, le comté du Cap-Breton est dans l’Ile de ce nom celui qui compte le moins d’Acadiens, et cela, bien que l’île elle-même renferme aujourd’hui le groupe le plus important et le plus compacte de cette race si dispersée. Ainsi le nord du comté d’Inverness, également dans l’île du Cap-Breton, n’est presque peuplé que par eux, comme aussi le sud du comté de Richmond, où se trouve la petite ville d’Arichat, la plus considérable du pays, et dont presque tous les habitans, au nombre de 6,000, sont Acadiens. La population totale de l’île est de 60,000 âmes, dont 15,000 Acadiens ; c’est le sixième du chiffre auquel est évalué aujourd’hui ce qui reste de cette race intéressante.

Les bâtimens de la division de Terre-Neuve effectuent le plus souvent leur retour en France de Sydney, en touchant à Saint-Pierre-Miquelon. Notre relâche y fut plus longue que de coutume, car la pauvre île était encore sous le coup de l’incendie qui venait