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pondérées et balancées dans le sein du parlement, qu’à la lettre tout gouvernement était devenu impossible dans le pays. Ce furent d’abord les conservateurs qui, en 1862, sévirent contraints de céder la place aux radicaux, sur quoi le ministère dissout les chambres et fait appel au pays. C’était bien le remède indiqué par le formulaire constitutionnel, mais à peine put-on réussir ainsi à traverser l’année 1863, et force fut aux radicaux, dès le début de la session suivante, de rendre le pouvoir aux conservateurs. Ces derniers ne devaient pas être plus heureux ; ils ne tardèrent pas à se retirer à leur tour, et le pays confondu put être témoin du spectacle affligeant d’un gouvernement aux rouages essentiellement parlementaires restant court dans l’ingénieux mouvement de son mécanisme. La pendule s’était arrêtée net par l’inertie du balancier, sans qu’aucun ressort fût endommagé. Ceci se passait en 1864, précisément alors que les délégués des provinces du littoral étaient en train de discuter innocemment à Charlotte-Town, dans l’île du Prince-Edouard, leur projet de confédération restreinte. Une députation canadienne, envoyée par les chefs des deux partis hostiles dont on vient de voir l’impuissance à Québec, s’offrit à prendre part à la conférence. C’était la fée malfaisante qui venait empoisonner par sa seule présence toutes les heureuses qualités auxquelles pouvait prétendre l’enfant nouveau-né. Effectivement, par on ne sait quelle funeste inspiration, le plan primitif ne tarda point à être laissé de côté, et les délégués de Charlotte-Town furent convoqués pour le 1er octobre à une nouvelle conférence à Québec, dans la quelle devaient être jetées les bases d’une confédération générale des colonies anglo-américaines.

Autant l’union des provinces maritimes était raisonnable et fondée sur la nature des choses, autant l’idée nouvelle ainsi mise en avant était contraire aux plus simples notions du sens commun. C’est ce que comprenaient nombre de bons esprits, même au Canada, et quand la question fut portée devant le parlement de Québec, où elle ne pouvait que trouver une majorité favorable, elle n’en fut pas moins l’objet d’attaques et de critiques que l’on eût fait sagement d’écouter. C’est ainsi qu’un membre proposait spirituellement à l’assemblée d’adopter l’arc-en-ciel pour emblème de la future confédération. « Par la variété de ses couleurs, disait-il, il donnerait une excellente idée de la diversité des races, des religions, des sentimens et des intérêts des différentes parties de la confédération. Par sa forme mince et allongée, il en représenterait parfaitement la configuration géographique. Enfin, par son manque de consistance, cette image sans corps serait le meilleur symbole de la solidité de notre échafaudage politique. » Il suffisait