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pourtant que sur les lieux l’enthousiasme des colons répondît à celui de la métropole. Beaucoup d’entre eux, et dès meilleurs, n’y voyaient qu’un tour d’escamotage politique, grâce auquel le projet primitif, conçu dans des proportions modestes et rationnelles, avait été métamorphosé, pour ainsi dire, du jour au lendemain presque à l’insu des intéressés. Il ne s’agissait en effet d’abord que de réunir par un même lien les trois provinces maritimes de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-Brunswick et de l’île du Prince-Edouard ; Terre-Neuve aurait pu s’adjoindre plus tard à ce groupe. Intérêts commerciaux, voisinage immédiat, sécurité militaire, tout plaidait en faveur de cette union, qui eût bien véritablement fait la force des parties engagées. Les assemblées législatives de ces trois colonies, consultées en 1864 sur l’opportunité d’agir, se prononcèrent unanimement contre tout nouveau délai, et le 1er septembre de la même année fut la date assignée pour la réunion, dans l’île du Prince-Edouard, des délégués nommés par les trois assemblées. Malheureusement il en fut de ce congrès au petit pied comme du baptême de la Belle au Bois dormant dans les contes de Perrault, où la fée malfaisante que l’on a négligé de convier arrive à l’improviste, et se venge cruellement de cet oubli volontaire. Le Canada avait été soigneusement laissé en dehors de l’union projetée, et cette exclusion n’eût-elle pas été naturellement expliquée au premier coup d’œil jeté sur la carte, que chacun en aurait surabondamment compris le motif en se rappelant l’histoire de cette colonie depuis quelques années. Jamais le gouvernement représentatif n’avait porté de plus déplorables fruits depuis que la générosité politique, parfois imprudente, des Anglais, voulant à tout prix acclimater cet arbre précieux sur tous les points du globe où flotte la croix de Saint-George, avait imaginé de doter les îlots les plus microscopiques, Saint-Christophe aux Antilles par exemple, du même appareil gouvernemental que l’Australie. La foi est une belle chose, mais il serait trop beau qu’elle sauvât toujours. Loin de sauver le Canada, elle avait dans le cas présent fini par l’acculer dans une des plus étranges impasses dont les annales parlementaires fassent mention en aucun pays. L’acte d’union du Haut et du Bas-Canada, proclamé en 1841, n’avait guère servi qu’à mieux faire ressortir la divergence d’intérêts de ces deux provinces, qui maintenant voulaient s’unir à leurs voisines après n’avoir jamais réussi à s’entendre entre elles. D’une part se trouvait le parti conservateur, formé de la majorité des Canadiens français unis à une minorité anglaise, de l’autre le parti radical, composé d’Anglais et d’Américains du Haut-Canada, ainsi que d’un très petit nombre de Français. Les forces des deux partis, à l’époque dont nous parlons, étaient devenues si également