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leurs havre-sacs, leurs armes, leurs vêtemens, s’élancèrent dans le plus grand désordre vers le bord du fleuve pour retrouver la protection de la flotte. Telle était la démoralisation des fuyards qu’il fallut immédiatement dissoudre le corps et le remplacer par d’autres troupes. La jonction des deux détachemens alliés ne s’opéra que dans la journée du 3 mai : au nombre de 5,000 hommes environ, ils s’établirent solidement en face même de la batterie de Londres, sur une très étroite péninsule du Chaco, entourée de marécages qui servent de fossés de défense. L’occupation de ce point stratégique suffira-t-elle, ainsi que le prétendent les Brésiliens, pour couper entièrement les communications de la forteresse paraguayenne avec le reste du pays, et les canots, les radeaux, descendus de Timbo à l’aide du courant, ne pourront-ils pas apporter des provisions et des nouvelles à la petite garnison d’Humayta ? Les fourrés et les marécages qui se prolongent à l’ouest et au nord de la nouvelle position brésilienne sont-ils infranchissables pour les habiles chasques ou courriers guaranis ? C’est là ce que nous apprendra l’avenir. D’ailleurs les Brésiliens laissent par la lenteur de leurs mouvemens la plus grande prise à l’imprévu. La forteresse devait se rendre immédiatement après le passage de la flotte, et plus de quatre mois se sont écoulés depuis sans qu’elle ait été seulement attaquée. Si le marquis de Caxias réussit enfin à exécuter son plan, qui est, dit-on, de construire un chemin de fer d’investissement sur chacune des rives du Paraguay, alors sans doute il pourra réduire la place par la famine, à moins toutefois qu’une forte crue du fleuve, noyant tous les campemens du Chaco, n’oblige les assiégeans à s’enfuir vers la terre ferme. Récemment, les eaux du Paraguay s’étant élevées à une très grande hauteur, les soldats argentins campés dans les terrains bas, qu’envahissait l’inondation, durent se réfugier en toute hâte sur un albardon ou léger renflement du sol occupé par les forces brésiliennes. En même temps les projectiles lancés par la batterie de Londres sur cette foule en désordre y produisaient un effet terrible : chaque boulet faisait sa trouée dans le ramas des fuyards. Jusque dans les villages riverains du Bas-Parana, les habitans furent épouvantés à la vue dès longues files de cadavres entraînés par les eaux.

Quand même la place d’Humayta serait prochainement occupée par le marquis de Caxias, il est trop tard maintenant pour que cette victoire soit un coup décisif. Le Paraguay, dont l’accès était libre naguère, est fermé en amont par les fortifications du Tebicuari. L’escadrille des quatre navires qui ont passé le 19 février reste immobile à son ancrage de Tayi, ou se borne à croiser devant Timbo : aucun autre vaisseau n’a pu encore les rejoindre en forçant le passage d’Humayta. Pendant la dernière inondation, un bateau chargé