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paraguayens, l’échec de Paso-Pucu aurait été pour les assiégeans un autre désastre de Curupaity. Quoi qu’il en soit, le marquis de Caxias attendit que les ouvrages extérieurs d’Humayta fussent complètement abandonnés avant d’y pénétrer lui-même. Installés dans ce quartier-général de Paso-Pucu, d’où Lopez les avait si longtemps tenus en échec, les chefs alliés se contentent d’observer de loin les murailles du « Sébastopol » américain. Des marécages, des lagunes difficiles à franchir, les en séparent ; ils ne pourraient en tenter l’accès que par des isthmes étroits où les colonnes d’assaut seraient complètement détruites par les boulets ; enfin le creusement des tranchées d’approche est presque impossible dans ce sol détrempé. Bombardemens et sommations sont également inutiles pour obtenir du colonel Alen la reddition de la place ; avant que les 40,000 Brésiliens puissent y pénétrer, il faut d’abord qu’ils en affament la petite garnison, composée, dit-on, d’environ 3,000 hommes. D’ailleurs il ne serait pas étonnant que des fournisseurs génois, argentins ou brésiliens de l’armée d’invasion se chargent eux-mêmes d’approvisionner les assiégés, car, si l’on en croit la rumeur publique, c’est par l’entremise d’officiers alliés — en train de devenir millionnaires — que les Paraguayens reçoivent déjà presque toutes leurs munitions. Les magasins d’Itapirù et de Curupaity servent d’entrepôt aux troupes de Lopez aussi bien qu’à celles du marquis de Caxias.

Après l’évacuation de Curupaity et de Paso-Pucu par les forces paraguayennes, un autre mois s’écoula sans que l’armée de siège s’occupât de compléter l’investissement d’Humayta, et ce délai fut habilement mis à profit par le commandant de la forteresse, qui pouvait se ravitailler à son aise par les chemins du Chaco. Enfin le 30 avril, dans l’après-midi, 1,200 volontaires argentins débarquèrent sur la rive droite du fleuve, au-dessous d’Humayta, dans une anse abritée du canon du fort, et, cherchant péniblement un passage à travers les lagunes, les fondrières, les broussailles entremêlées, marchèrent au nord dans la direction de la route stratégique des Paraguayens. Le lendemain, 2,000 impériaux, prenant terre en amont, se dirigeaient au sud pour atteindre aussi la route et rejoindre les Argentins. Toutefois la marche des deux corps ne devait point se faire sans obstacle. Les Brésiliens, qui avaient la précaution de se retrancher hâtivement à chacune de leurs petites étapes, purent se défendre avec succès contre les attaques réitérées de quelques bataillons paraguayens sortis à la hâte de Timbo ; mais les volontaires argentins furent mis honteusement en déroute. Ces troupes se composaient presque en entier de soldats engagés en Europe et n’ayant par conséquent d’autre intérêt dans la guerre que celui de leur paie. Peu soucieux de l’honneur d’un drapeau qui n’est point le leur, ces mercenaires s’empressèrent de fuir, et, jetant