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en silence, entourent soudain les deux navires brésiliens le Lima Barros et le Cabral, qui se trouvent à l’ancre près de l’embouchure du rio de Oro ; l’équipage de l’un d’eux, qui cherche à se défendre, est massacré avec son commandant, le lieutenant Costa. La frégate est prise, malheureusement elle n’est pas sous vapeur, et pendant que les assaillans s’occupent de chauffer les chaudières, le Herval, le Silvado, le Mariz e Barros et d’autres navires se pressent autour d’eux ; on fusille les Paraguayens à bout portant, et, pour éviter d’être tués jusqu’au dernier, ils sont obligés de se jeter dans le fleuve et de nager vers Humayta au milieu d’une grêle de balles plongeantes.

Certes on ne saurait s’étonner qu’en face de pareils hommes les chefs de l’armée brésilienne procèdent avec la plus grande prudence dans chacune de leurs opérations militaires ; mais on se demande pourquoi cette prudence est devenue de l’inaction à une période critique de la guerre où chaque opportunité devrait être saisie avec tant d’empressement. Après avoir obtenu cet immense succès de franchir sans désastre la passe d’Humayta, le plus simple bon sens commandait aux Brésiliens de serrer de très près la forteresse pour observer et déjouer les mouvemens de l’ennemi. Au contraire ils laissèrent au maréchal Lopez tout le temps dont celui-ci avait besoin pour prendre ses nouvelles dispositions. On dirait vraiment que l’accusation si souvent formulée contre un grand nombre d’officiers impériaux est fondée, et qu’en effet ils cherchent à prolonger la guerre jusqu’à ce qu’ils soient devenus riches aux dépens de la nation, épuisée de ressources. Un long mois s’écoula sans que le marquis de Caxias essayât d’utiliser par une attaque sur Humayta l’impression qu’avait dû produire le passage de l’escadre sur les défenseurs de la place. Le 21 mars seulement, les vaisseaux cuirassés commencèrent le bombardement des ouvrages paraguayens qui bordent le fleuve, tandis que l’armée tout entière s’avançait vers les batteries qui faisaient face aux camps de Tuyucué et de San-Solano. Malheureusement le général brésilien avait mal pris ses mesures, et ce qu’il avait cru ne devoir être qu’une simple promenade militaire se changea en une bataille sanglante. Les troupes franchirent les fossés, passèrent à travers les estacades et les chevaux de frise, gagnèrent les remparts de Paso-Pucu ; mais là elles furent reçues à bout portant par la garnison revenue d’Humayta pour défendre des ouvrages déjà évacués depuis quelques jours. Le combat fut l’un des plus acharnés et des plus sanglans de toute la guerre ; les Brésiliens renouvelèrent leurs assauts pendant plusieurs heures, les réserves mêmes furent appelées, mais en vain ; des monceaux de cadavres remplirent les fossés des redoutes attaquées : d’après les bulletins