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obstacle le cours du Paraguay. Le baron de Inhauma résolut de saisir cette occasion, unique dans l’année, et donna l’ordre au commandant Delphim de franchir la passe avec sa division composée de sept navires cuirassés, frégates et monitors. Toutefois les impériaux se gardèrent bien de passer en plein jour dans le terrible méandre d’Humayta, sous le feu des 200 canons servis par les artilleurs paraguayens : ils préférèrent la nuit, une nuit brumeuse et sans étoiles.

Le 19 février 1868, à trois heures et demie du matin, toute la flotte, vaisseaux blindés et navires en bois, ouvrait le feu contre la place, tandis qu’une canonnade terrible partait des batteries avancées qui entouraient Humayta en un vaste demi-cercle, Tuyuti, Tuyucué, San-Solano. En même temps l’escadrille de passage, sous la direction du pilote basque Etchebarne, doublait la pointe occupée par la première redoute paraguayenne, et, voilée par le brouillard, s’engageait dans la redoutable courbe en luttant contre le courant du fleuve. Les défenseurs d’Humayta entendent le ronflement de la vapeur, le sourd gémissement des machines, le bruissement de l’eau ; mais ils ne peuvent que tirer au hasard sur ces formes indécises qui se confondent avec la brume. Cependant, lorsque les navires sont arrivés devant la batterie de Londres, à l’endroit où le lit du fleuve se retourne brusquement vers le nord et où la grande chaîne de fer est tendue entre les deux rives, l’escadre retarde sa marche et la plupart des boulets lancés par les canons d’Humayta viennent frapper en pleines cuirasses. Le Tamandaré, qui a reçu plus de cent boulets dans sa coque, ne peut plus avancer, sa machine ne fonctionne plus, et la grande masse désemparée redescend avec le courant le long des batteries qui bordent le rivage sur une distance de près de 2 kilomètres ; deux autres navires, également mis hors de service, ne peuvent non plus franchir la chaîne. Seulement les deux vaisseaux cuirassés le Bahia et le Barroso, traînant à la remorque les monitors Alagoas et Rio-Grande, réussissent à s’engager dans le redoutable coude, puis à dépasser les dernières batteries situées à l’embouchure de l’Arroyo-Hondo. Ensuite ils glissent non moins heureusement sous le feu de la citadelle de Timbo ou Nuevo Establecimiento, située sur la rive droite du Paraguay, et bientôt ils arrivent en vue du pavillon brésilien qui flotte sur les remparts de Tayi. Pendant ce temps, un combat terrible s’était engagé à l’angle oriental extrême de la forteresse entre les meilleures troupes du marquis de Caxias et une partie de la garnison d’Humayta. Après avoir laissé plus de 2,000 morts dans les fossés et sur les remparts, les Brésiliens parvinrent à s’emparer de ce point ; mais, incapables de s’y maintenir, ils évacuèrent dès la nuit suivante.