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pour commander une armée aussi grande que celles de la Prusse ou de la France.

Que M. Sarmiento donne en effet de grands soins aux développemens de l’instruction publique, rien de mieux, et l’on ne saurait trop l’encourager dans cette œuvre. Toutefois c’est après de longues années seulement que l’influence des écoles se fait sentir sur la marche des affaires politiques, et, sous peine des plus graves complications, les questions actuellement en suspens doivent être résolues sans retard. Comment réconcilier les « crus » et les « cuits, » les unitaires et les fédéraux ? Comment satisfaire à la fois Buenos-Ayres et les provinces, décider entre les prétentions rivales de la capitale actuelle, qui veut à toute force garder son titre, et de Rosario, que les états de l’intérieur désignent comme le siège futur du gouvernement ? Comment, après trois longues années de guerre, conclure la paix avec le Paraguay sans avoir eu la satisfaction de remporter un triomphe militaire et de s’emparer d’un lambeau de territoire ? Comment surtout se dégager de la puissante étreinte du Brésil, rouvrir les fleuves aux navires de commerce, les fermer aux escadres de guerre, et rétablir l’indépendance de la république, si fortement compromise par la vanité du général Mitre ? M. Sarmiento est-il bien l’homme qui pourra résoudre ces graves problèmes, lui le fils de la pampa, qui, après avoir été pendant la première partie de sa carrière politique le défenseur du droit des provinces, est devenu le champion du parti localiste de Buenos-Ayres, et a tout fait pour asservir à la capitale le reste de la nation ? Saura-t-il se défendre de l’ambition guerrière si commune parmi les hommes de l’Amérique méridionale, lui qui met tant de prix à son titre de colonel et qui a écrit avec tant de solennité l’histoire de ses hauts faits militaires contre l’armée de Rosas dans un livre intitulé : Campaña del teniente colonel Sarmiento en el ejercito grande ? Malheureusement il est à craindre que M. Sarmiento veuille, lui aussi, jouir du titre de général en chef et donner une preuve de ses talents stratégiques, soit contre le Paraguay, soit contre les provinces de l’intérieur.

Déjà tous les républicains de la Plata qui ont à cœur la prospérité de leur pays considèrent comme un désastre national l’alliance militaire conclue avec le Brésil, et le jour où ce traité sera dénoncé sera pour eux l’un des plus beaux de l’histoire nationale. Les électeurs présidentiels se sont faits les interprètes de ce sentiment d’aversion contre la politique de l’empire quand ils ont refusé de donner leurs votes à M. Elizalde, le candidat agréable au cabinet de Saint-Christophe et à son allié le général Mitre. En revanche, le docteur Alsina, qu’ils ont probablement élu pour