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science que chez eux ce n’est pas seulement la portion pratique de cette religion qui a subi une déchéance, que c’est aussi la théorie métaphysique, partout remplacée par l’anthropomorphisme, la croyance aux esprits et les autres superstitions. Quand nous cherchons à démêler la cause qui a produit cette chute de l’une des plus grandes religions, nous ne la trouvons ni dans cette religion même, ni dans les institutions particulières de chacun des peuples jaunes ou noirs ; elle est dans la différence des races. La Chine renferme des moralistes et des philosophes pratiques, mais pas un seul métaphysicien, beaucoup d’industries empiriques et de métiers, mais point de science ; notre expédition d’il y a quelques années chercha dans Pékin un mathématicien chinois, elle n’en trouva pas un seul, quoique la ville regorgeât de calculateurs. Les notions générales d’une nature abstraite échappent à cette race d’hommes, à qui manque aussi la partie du cerveau qui en est l’organe. C’est pourquoi la théorie métaphysique, qui est l’essence de la religion, leur échappe également, et il n’est pas plus possible de la leur enseigner qu’il n’est possible de procréer un lion dans une brebis et de changer la loi des générations.

Parlerons-nous des peuples noirs, inférieurs aux jaunes, qui de temps immémorial occupent le sud de l’Asie et une grande partie de l’Afrique ? Demanderons-nous ce que sont aujourd’hui dans ces contrées les plus grandes religions ? Que l’on consulte les Anglais de retour de l’Abyssinie, et ils raconteront ce que les sujets de Théodore avaient fait du christianisme, ce qu’étaient devenus chez eux, je ne dirai pas Dieu le père, dont l’idée n’était jamais entrée dans leur esprit, mais Jésus et Marie, les apôtres, les saints, les cérémonies de la messe et les sacremens. Avant que le christianisme se fût introduit en Abyssinie, les peuples noirs voisins de la Haute-Égypte avaient déjà reçu des missionnaires de l’Asie et avaient été convertis. Il existe en langue grecque un document depuis longtemps célèbre et traduit en plusieurs langues, mais dont la valeur n’a pas été comprise jusqu’à nos jours, parce que l’Inde et la Perse étaient demeurées inconnues : nous voulons parler du livre d’Héliodore connu sous le nom d’Éthiopiques. C’est en effet un épisode de l’histoire de la civilisation en Ethiopie. On y voit un peuple noir dont le roi et la reine portent des noms perses, et ont pour directeur spirituel un prêtre nommé Sucimitra, nom sanscrit signifiant « l’ami des purs. » La religion de ce missionnaire asiatique était déjà puissante en Ethiopie que l’on y célébrait encore des sacrifices sanglans et même des sacrifices humains, comme aujourd’hui au Dahomey. Enfin ces usages disparaissent au dénoûment du livre, et la douceur des mœurs aryennes triomphe ; mais on ne dit pas que ces peuples aient jamais rien compris aux doctrines métaphysiques sur