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Tout le monde sait aussi que de très bonne heure, dans un temps où le bouddhisme n’existait pas encore, un antagonisme se manifesta entre la religion indienne et celle de la Médie, deux religions qui avaient pourtant le même fonds de doctrines, le même culte, et dont l’identité est démontrée par tous les travaux faits dans ces dernières années soit sur les livres de l’Inde, soit sur ceux de Zoroastre. Il faut donc admettre que la guerre qui s’éleva entre elles n’eut pas une cause religieuse, et naquit sous l’influence des milieux où la doctrine primordiale se trouva transportée. Quand on étudie ces milieux au moyen des faits et des documens authentiques, on ne tarde pas à s’apercevoir que dans l’Inde le système féodal apporté par les Aryas continua d’exister, et que la caste des brahmanes, la première pour la dignité et les privilèges, entra dans cette constitution politique et se modela sur elle. Les brahmanes demeurèrent indépendans entre eux comme l’étaient les rois féodaux, n’eurent jamais un chef suprême, et n’allèrent pas dans la voie de l’unité au-delà de la caste et des collèges sacerdotaux. Les lois de Manou que nous possédons offrent un système tellement coordonné dans ses parties qu’il est impossible de dire si la religion y est faite pour la politique ou la politique pour la religion. Le brahmanisme n’est donc pas une religion dans le sens rigoureux de ce mot, c’est une institution politique dans laquelle la religion a été introduite comme partie intégrante, c’est la religion primordiale modifiée par un élément politique, et cet élément, c’est le principe féodal. Pour faire rentrer l’Inde dans la grande unité religieuse, il faudrait que le brahmanisme fût dépouillé de son enveloppe féodale, que le système des castes fût aboli, les royautés détruites, le sacerdoce livré au vulgaire, et que tout l’ensemble de la doctrine, du culte et des symboles fût ramené à ce qu’il était il y a trois ou quatre mille ans, avant la conquête de l’Inde par les Aryas.

Une autre branche de ces derniers avait pris sa route vers le sud-ouest et occupé cette portion de l’Asie qui s’étend de la mer Caspienne au Golfe-Persique. De bonne heure elle eut à lutter contre les grands empires de Ninive et de Babylone, auxquels elle se substitua. Il est très probable que ce fut dans ces luttes et parce qu’il fallait opposer puissance à puissance qu’elle se constitua politiquement en une sorte d’empire gouverné par un roi presque absolu sous les coups duquel tombèrent les défenseurs de la vieille féodalité. Les roches sculptées du lac de Van portent témoignage de ces faits. Dès lors le chef religieux fut aussi chef politique, et tout l’empire de Cyrus, de Darius et de Xercès eut un sacerdoce organisé monarchiquement ; il eut à sa tête un chef et au-dessous de lui des prêtres de différens degrés ; il eut une doctrine où le roi fut présenté comme une sorte d’incarnation ou de vicaire de Dieu sur la