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même la religion est au fond étrangère à la politique, et n’a rien à démêler avec elle. Elle lui est fort supérieure, parce qu’une théorie métaphysique aussi simple et aussi bien établie que celle sur laquelle repose la religion primordiale est non-seulement en dehors, mais au-dessus d’institutions politiques toujours variables. Il est impossible de dire quel était l’état politique du peuple âryen, chez qui est née la première institution religieuse ; mais, d’après les hymnes du Vêda, cet état devait être fort rudimentaire, puisque longtemps après l’établissement du culte public par les Ribhous, on en était encore à l’état féodal le plus divisé. Cet état existait de même lors des premières migrations helléniques, comme le prouvent toutes les traditions. Les vieilles royautés, c’est-à-dire les seigneuries féodales auxquelles les plus anciens hymnes indiens ainsi que l’Iliade d’Homère font allusion, s’étendaient sur des contrées si petites que ces princes indépendans les uns des autres n’étaient véritablement entourés que de leur famille, de leurs serviteurs et de leurs fermiers. Un pas de plus vers le passé, et l’on n’aperçoit que des familles plus ou moins riches entre lesquelles il n’existait de communauté que celle de la race et de la religion sans lien politique proprement dit.

A mesure que ce lien se forma, la religion se trouva mêlée à la politique, et prit parti dans les luttes que la politique engendra. Dans l’Inde, la légende du roi Viçwâmitra devenu brahmane, celle de Vasichta défendant contre lui le pouvoir temporel des prêtres, celle du premier Râma vaincu sur ce terrain par le second, sont autant d’épisodes d’une alliance hâtive et funeste entre la religion et la politique du temps[1]. Le brahmanisme s’accommoda dès lors à l’état féodal de la société indienne, et vécut au milieu d’elle de privilèges et d’oisiveté ; mais, les mœurs changeant par degrés, il vint un temps où une sorte de révolution parut inévitable. L’égalité des hommes devant la religion et devant la loi devint la préoccupation d’un grand nombre de déshérités ; le bouddhisme fut prêché comme une séparation de l’église et de l’état. Il proclamait en politique l’indifférence, en morale le renoncement aux biens de la terre, la charité universelle et la fraternité de tous les hommes. Quand on cherche ce que fut le bouddhisme comme religion, on est étonné du peu de lumière fournie par les livres où il est contenu ; mais comme réforme de l’état social et comme révolution politique dirigée contre le pouvoir temporel des brahmanes, le bouddhisme est un des événemens humains les plus grandioses et les plus instructifs pour nous.

  1. Voyez, pour ces légendes, le Râmâyana, I, trad. ital. de Gorresio, et le Bhâgavata Purâna, trad. franc. d’Eugène Burnouf. Voyez aussi Muir, Sanscrit texts, I.