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véritable unité religieuse se trouve de plus en plus compromise. Il n’importe donc pas moins dans la pratique que dans la science de reconnaître les causes qui d’une religion primitivement unique ont fait naître tant d’opinions particulières, d’églises séparées, de communautés rivales. C’est un problème sur lequel l’étude comparée des religions a jeté dans ces derniers temps les plus vives clartés.


I

Il est nécessaire avant tout de se persuader qu’il ne s’agit point ici de morale, et que la conduite de la vie est étrangère à ces questions. Nous pouvons facilement constater, soit dans les livres sacrés de l’Inde, soit chez les anciens Grecs, soit même dans les livres de Zoroastre, au moins dans les plus anciens d’entre eux, que le but de l’institution religieuse n’était point de rendre les hommes plus ou moins vertueux, qu’elle n’avait pas de règles de morale à leur imposer : elle était une pure et simple affirmation de la théorie métaphysique formulée par les ancêtres. C’est plus tard que les églises élevèrent la prétention d’imposer à leurs adhérens des règles de conduite et des commandemens. La plus féconde en ce genre fut précisément celle où la théorie métaphysique occupe le moins de place, ce fut le bouddhisme. Après lui vint le christianisme, en particulier le catholicisme romain. Plus rigide encore en matière de morale est l’église protestante, la dernière venue. C’est donc avec le temps que la morale s’est introduite dans les différentes religions. En cela, elles ont suivi le mouvement général de la civilisation, et la morale de chacune d’elles s’est toujours trouvée d’accord avec les besoins généraux de chaque société.

C’est là un élément de diversité qui n’a rien d’essentiellement religieux, et qui a varié selon les siècles. Au fond, ce n’est ni la religion, ni la philosophie, ni la science, ni même la morale, qui font les mœurs, ce sont les mœurs qui créent la morale d’âge en âge, et qui, réagissant sur l’institution religieuse comme sur tout le reste, y introduisent un élément de diversité. En elle-même, la religion est étrangère à la morale, comme le prouvent les livres du Vêda, où la religion existe dans toute sa plénitude, et où les prescriptions morales se réduisent à rien. S’il en était autrement, tout honnête homme renoncerait sur-le-champ à sa religion, car il n’est pas d’actions mauvaises, soit publiques, soit privées, qui n’aient été commises en son nom et pour son plus grand bien.

Si la morale des nations est un produit de leurs mœurs, comme cela paraît incontestable, il faut donc voir dans l’état social de