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suivre dans toutes ses péripéties la longue bataille de Custoza, fructueuse défaite, et de songer que Vérone sera désormais pour l’Italie, non plus une menace, mais une protection. De Vérone part un chemin de fer qui franchit les Alpes, et, gagnant le Tyrol, va jusque Munich, où il rejoint toutes les lignes d’Allemagne. Le Brenner est déjà dompté, le Mont-Cenis le sera bientôt, reste à trouer le Saint-Gothard ; cette dernière percée est à l’étude. On voit que l’Italie ne recule pas devant les plus ambitieux projets. Il est vrai qu’elle attend la malle des Indes.

Venise aussi compte sur le percement de l’isthme de Suez pour renaître de ses cendres. C’est dans cette ville que la tristesse frappe le voyageur. Le peuple est pauvre, ruiné par son héroïque résistance de 1848, qui lui avait coûté plus de 50 millions ; pressuré par le retour de l’étranger, qui ne le reconquit pas pour l’enrichir, découragé par la décadence de son commerce, qui de 1850 à 1866 déclina d’année en année, abandonné par la désertion volontaire ou forcée des grandes familles, qui s’exilaient une à une dans les pays libres, l’emprunt forcé de l’Autriche, qui fit payer aux Vénitiens en 1866 les frais de la guerre soutenue contre eux, lui porta le dernier coup. La population avait diminué, les mendians se multipliaient chaque jour, 30 ou 35,000 pauvres étaient inscrits sur les registres de la commune ; sur 19,000 maisons qui bordaient les rues et les canaux, 3,000 environ étaient vides. En 1866, le mont-de-piété dut prêter sur gages la somme énorme de 400,000 francs. Vous ne trouviez partout que palais ravagés, transformés en bureaux, en auberges, ou vendus au plus offrant ; ce n’étaient que trèfles, ogives, colonnettes à l’encan ; fines dentelles de marbre livrées à des boutiquiers, à des ballerines. Voilà dans quel état l’Italie trouva Venise en 1866. Que pouvait-elle faire ? La relever d’un jour à l’autre, lui rendre les Palladio, les Titien, la prospérité d’autrefois, le sceptre de l’Adriatique ? Hélas ! l’Italie, déjà pauvre, était encore appauvrie par tous ses agrandissemens ; de conquête en conquête, elle marchait à sa ruine. Pour comble de malheur, deux catastrophes inattendues vinrent frapper Venise, le choléra d’abord, qui chassa les touristes, puis l’incendie de l’église des SS. Jean et Paul, où fut consumé le Saint Pierre martyr du Titien, si bien que la cité des lagunes resta la grande mendiante. On ne se hâta ni d’agrandir l’arsenal, ni de creuser le bassin du Champ de Mars, ni de développer les ouvrages maritimes de Malamocco, ni de mettre le port en communication avec l’Égypte, ni de déblayer les canaux, ni d’élargir les 400 rues qui n’avaient que 1 mètre ou 1 mètre et demi de large, ni même de faire restituer aux archives les manuscrits soustraits et emportés par les Autrichiens, Cependant, hâtons-nous de le dire, si tout cela n’a pas encore été fait,