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passé à Naples le 15 juillet 1860 et le 15 mai 1848 ? Si certains esprits ne veulent pas voir dans cette abjection littéraire un signe ou une cause d’abjection morale, nous pouvons leur mettre sous les yeux la statistique des prisons et des bagnes en Italie. En 1864, 70 détenus et 85 détenues sur 100 n’avaient jamais regardé un alphabet. Par bonheur, l’armée, qui corrompait autrefois les Italiens, ou du moins les Italiens méridionaux, est maintenant une institution qui les relève et les civilise. 86,755 militaires au commencement de 1866 fréquentaient les écoles de compagnie ou les écoles de régiment. Il est vrai que les soldats occupés dans la Terre-de-Labour à la chasse des brigands n’ont pas le temps de s’instruire, mais ceux qui restent en garnison dans les provinces du centre et du nord deviennent Italiens par la culture intellectuelle autant que par l’esprit patriotique et le sentiment de l’honneur. Quand ils rentrent chez eux, ils font une propagande active en faveur de l’Italie. Les vieilles femmes les regardent avec défiance ; mais les jeunes écoutent avidement ces hommes bronzés qui viennent de si loin, parlent une si belle langue, ont vu tant de choses et savent tout.

Ce que gagne l’armée, le clergé le perd. Soyons juste pourtant envers ce pouvoir qui décline. Il fut un temps, assez récent encore, où les prêtres étaient plus avancés que les gouvernans. Il y eut un moment où les Gioberti, les Rosmini, les Ventura, même les Mastaï, réveillèrent l’Italie. En ce temps-là, l’Autriche et Ferdinand II n’aimaient pas l’église, ils traitaient le pape de jacobin, persécutaient les frocs et les soutanes, étouffaient comme des exclamations séditieuses le cri mille fois répété de vive Pie IX. C’était jusqu’alors le clergé qui avait dirigé les études, sans les avancer beaucoup peut-être, mais du moins sans les arrêter tout à fait. Il ne répandait pas sur le peuple des torrens de lumière ; cependant son influence, quoi qu’on ait dit, n’était pas volontairement malfaisante et faisait quelquefois du bien. C’est à un bon moine, le padre Rocco, que Naples dut ses premiers falots ; cet excellent homme éclaira la ville, qui était alors un vrai coupe-gorge, en faisant allumer des lampions devant les images des madones. Pauvre éclairage, diront les sceptiques ; c’était pourtant mieux que rien. Toute l’instruction primaire en Italie ressemblait à l’illumination imaginée par cet excellent dom Rocco. Ce n’étaient que petites lampes brûlant au profit de la dévotion ; elles rendaient pourtant la nuit moins sombre. Ce fut encore un abbé, le digne Aporti, qui ouvrit le premier asile à Crémone ; il en créa beaucoup d’autres en Lombardie et en Piémont. Voilà donc une excellente institution propagée par un prêtre, et soutenue encore en bien des endroits par des sœurs de charité, qui dirigent aussi, non sans habileté, nombre d’écoles primaires ; mais c’est dans les institutions de bienfaisance