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enfin dans certaines parties de cette île 93 ! Et l’on s’étonne que les Siciliens aient tant de peine à se faire Italiens !

Les écoles au moins étaient-elles fréquentées, et les nouvelles générations pouvaient-elles promettre quelques progrès ? Hélas ! sur 100 enfans de 2 à 5 ans, vous n’en trouviez que 3 ou 4 dans les asiles. Sur 100 enfans de 5 à 12 ans, l’ancien royaume de Naples n’en envoyait que 13 à l’école, la Sicile n’en envoyait que 6. 17 millions d’Italiens ignorant l’alphabet ! « C’est une armée de barbares campée parmi nous, » disait en 1866 dans son rapport au roi M. Berti, ministre de l’instruction publique. Pour chasser ou plutôt pour civiliser cette armée, l’Italie s’est mise à l’œuvre avec une ardeur fiévreuse, et ce qu’on peut lui reprocher, ce n’est point l’inertie, c’est plutôt la précipitation. Il nous serait facile, avec les documens que nous avons sous les yeux, de suivre d’année en année, de 1861 à 1867, les progrès de l’instruction publique en Italie, et de montrer le nombre toujours croissant d’écoles ouvertes, d’élèves inscrits, de maîtres formés et placés ; mais cette page d’arithmétique rebuterait peut-être le lecteur. Nous aimons mieux nous arrêter dans une ville importante, et indiquer avec quelques détails ce qu’y a institué le régime italien. Nous choisissons Naples, sur laquelle, outre nos informations personnelles, nous avons beaucoup de renseignemens et de documens recueillis avec soin par un publiciste intelligent, M. Turiello, directeur des écoles à l’Hôtel royal des Pauvres[1]. Parler de la capitale du midi, c’est parler de l’Italie entière, car ce qui s’est fait à Naples s’est fait partout. Quand Victor-Emmanuel entra dans cette ville trop peuplée, il y trouva 400 ou 500,000 habitans ayant pour eux tous 42 écoles, qui réunissaient 3,000 écoliers. Tous les maîtres étaient ecclésiastiques, ainsi l’avait voulu un rescrit royal de 1849. Nommés par l’archevêque, sur la proposition du syndic, les instituteurs n’avaient à exhiber aucun diplôme ; les institutrices, il est vrai, passaient un examen, mais peu rigoureux ; on les dispensait même de l’orthographe. Les garçons, entassés dans des chambres sordides, étaient roués de coups, les filles cousaient ou tricotaient en chantant des litanies ; les mères ne laissaient instruire leurs enfans que pour s’en débarrasser. Quand le marmot était assez grand pour gagner sa vie ou assez adroit pour la busquer (c’est le mot du pays), soit en vous tendant la main, soit en la glissant dans votre poche, il était lancé dans la rue, où il rôdait du matin jusqu’au soir. Ni écoles normales, ni écoles d’adultes ; un seul asile, ouvert par la générosité d’un banquier, était toléré, grâce à l’autorité financière de ce personnage. L’instruction

  1. Le nostre scuole municipali. Inchiesta e Proposte di P. Turiello. Napoli, 1867.