Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ses premières protectrices : « Io lo amo sommamente. » Tous le pleurèrent aussi amèrement que Castiglione, qui écrivait : « Je suis en bonne santé ; mais il me semble que je ne suis plus à Rome, puisque mon Raphaël n’y est plus. Ma non mi pare essere à Roma, perchè non vi è più il mio poveretto Rafaello. » Comment n’avoue-t-on pas que c’est là un caractère unique, une âme profondément originale ? Si on l’avoue, comment ne reconnaît-on pas que cette âme fut, après son génie, la source la plus vive des inspirations de l’artiste, et qu’il convient d’y voir bien moins le reflet que l’antithèse des mœurs de ce temps ?

Ce milieu, a-t-on dit, était d’une part mystique et superstitieux, de l’autre païen et épicurien. Or chez Raphaël que remarque-t-on de semblable ? Nulle part je n’ai lu qu’il fût superstitieux. Sa candeur n’avait rien de mystique ; les nonnes de Saint-Antoine de Padoue le lui firent sentir le jour où elles lui enjoignirent de voiler Jésus enfant, que le jeune peintre avait représenté et qu’il représenta toujours dans sa nudité naïve. Dévot, il ne l’était guère. « Il est impossible de nier que Raphaël n’ait été, comme chrétien encore plus que comme artiste, trop souvent infidèle aux pures traditions qu’il avait apportées de l’Ombrie. » Tel est l’aveu du plus orthodoxe des récens historiens de l’art chrétien, M. Rio. Le Sanzio n’était pourtant point en révolte contre l’église, tant s’en faut. Il n’avait pas non plus avec le pape, comme Michel-Ange, de violentes altercations, suivies de ruptures et de raccommodemens ; mais sa manière d’agir, qu’on n’a pas assez remarquée, était très indépendante sous les apparences de la douceur et de la soumission. En somme, il ne faisait guère que ce qu’il voulait. Il lui arriva même, à l’occasion, de donner en souriant de piquantes leçons à ceux qui l’approchaient, fussent-ils cardinaux. Ainsi fra Bartolomeo, ayant été obligé par sa mauvaise santé de quitter Rome, avait laissé à son ami Raphaël le soin de terminer un groupe de saint Pierre et saint Paul commencé pour l’église Saint-Sylvestre. Deux cardinaux vinrent voir le tableau, et critiquèrent le visage un peu trop rouge des deux saints. « N’en soyez pas surpris, répliqua Raphaël, c’est à dessein que je les ai peints de cette couleur ; on doit penser en effet que saint Pierre et saint Paul rougissent au ciel autant que sur ce tableau en voyant l’église gouvernée par des gens tels que vous. » Le mot doit être vrai ; il est rapporté par Balthazar Castiglione au premier chapitre de son Cortegiano. On y entend comme le prélude des récriminations formidables dont Luther, quatre ans plus tard, fit retentir le monde. Nous ne prétendons pas néanmoins mettre ici en doute les sentimens orthodoxes de Raphaël. Évidemment il vécut et il est mort dans la foi