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d’or enfilées en colliers pour les paysannes, les jolies chaînettes d’or tressées à Venise et portant le nom de Manin, les énormes bijoux qui allongent aujourd’hui, comme au temps de Juvénal, les oreilles des Napolitaines. Les Italiens aiment tout ce qui reluit, et cela non-seulement dans le midi, mais aussi dans le nord. On peut s’en convaincre en visitant Venise, — non la cité des palais et des lagunes que décrivent si volontiers les voyageurs, — mais la Venise ouvrière qui emploie tant de fil de soie aux dentelles destinées à la parure du clergé, tant de toile et de cire aux cent mille masques élégans ou bouffons qu’elle envoie chaque année depuis deux cents ans et plus dans les pays où le carnaval persiste, tant d’or et d’argent aux riches étoffes qu’elle tisse encore pour l’Orient. Tout le monde a fait une course en gondole à l’île de Murano, qui de tous ses privilèges et de toutes ses splendeurs n’a gardé que ses fabriques de glaces et de verroterie, tout le monde a vu ces précieux miroirs biseautés, encadrés de fleurs en verre fondu, qui furent si longtemps la richesse et l’orgueil de Venise. L’ancien gouvernement de la république appelait cette industrie la pupille de ses yeux, et ces magistrats si fiers, qui ne reconnaissaient pas les enfans nés d’une mésalliance, autorisaient les mariages entre fils de patricien et fille de verrier. Les fabriques vénitiennes nourrissent encore 5,000 ouvriers, dont quelques-uns gagnent jusqu’à 12 francs par jour.

C’est ainsi que tout porte aux arts ce peuple heureux, l’air, le ciel, le sol même : ces pierres de toutes couleurs qu’on trouve presque à chaque pas en creusant un peu, ces marbrés de Toscane, de Massa, de Carrare. Beaucoup d’autres carrières sont inexploitées, parce que les hommes n’ont pas encore su dompter la montagne, le mot est de Michel-Ange. Les marbres sont répandus, à profusion dans les villes italiennes, particulièrement à Gênes, où vous ne pouvez monter un étage ni vous accouder à une fenêtre sans toucher du bras ou du pied cette pierre dure et polie qui partout ailleurs coûte si cher. En visitant la ville peinte, enfoncez-vous dans les rues étroites et tortueuses qui montent du port aux jardins, vous n’y trouverez pas une porte si pauvre qu’elle n’ait au moins un chambranle en marbre. C’est sous un arc de triomphe, quelquefois sculpté, que passent, enveloppées dans leur grand voile blanc, les pâles ouvrières qui entrent à l’atelier, les fleuristes d’été, dont les énormes bouquets plats sont de vraies mosaïques, et les fleuristes d’hiver, qui découpent savamment dans le taffetas, dans la batiste, un printemps artificiel.

Ce n’est pas que les industries plus nécessaires soient négligées en Italie. Nous voudrions pouvoir visiter toutes les manufactures