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rencontre quantité de marchands, de colporteurs, d’ouvriers, d’artistes ambulans, venant du Piémont, de la Lombardie, du fond des Calabres. Ceux de Lucques étalent jusque sur nos ponts leurs musées de petits plâtres, société mélangée de nymphes, de madones, de brigands et de saints, parmi lesquels trônent les bustes de Victor-Emmanuel et de Garibaldi. Les musiciens voyageurs, zampognari, pifferari, promènent en tous pays, dans les ateliers des peintres, sous les balcons des auberges ou devant les images des saints leurs costumes de brigands et leurs cornemuses dévotes. Moins pittoresques, mais plus musiciens sont les Viggianais, qui partent un beau matin de printemps, avec les oiseaux et comme eux, pour chanter dans les pays froids qui les nourrissent ou qui les tuent. Ils reviennent riches, quand ils reviennent, et remplissent de jolies maisons souvent ébranlées par des tremblemens de terre leur beau village de Viggiano, qui ferait bonne figure même dans les provinces du nord. Parmi cette population errante, n’oublions pas les ramoneurs, — non plus ceux de Savoie, qui sont devenus Français, mais ceux du val d’Aoste, — ni les bûcherons, ni les charbonniers, dont les ventes furent célèbres. N’oublions pas surtout les éternels voyageurs que la mer attire et nourrit, les 16,000 pêcheurs qui s’embarquent sur de petits bateaux, sans compter les marins employés à la grande pêche.

Telles sont les émigrations ordinaires et périodiques. Nous ne parlons pas d’autres émigrations plus sérieuses et plus anciennes qui ont fondé des colonies importantes dans les deux Amériques et sur toutes les échelles du Levant. Les. Italiens s’établissent volontiers à l’étranger : lors du dernier recensement, nous en avions 75,000 en France ; mais les absens ne nous regardent pas, occupons-nous de ceux qui restent. Un bon tiers d’entre eux sont agriculteurs (plus de 8,200,000, y compris les Vénitiens) ; les campagnards se maintiennent forts dans leur vie active et frugale ; ils ont des familles nombreuses et vivent longtemps. Il en est peu cependant qui possèdent. Dans certaines provinces (Salerne, Campobasso, Aquila, Lucques, Sondrio, Brescia, Girgenti), l’on trouve, il est vrai, 1 propriétaire pour 4 habitans, ce qui paraît merveilleux ; mais, tous comptes faits, la classe des propriétaires ne constitue que la dix-septième partie de la population italienne. C’est peu relativement à la France, où il y a 1 propriétaire sur 5 habitans ; n’oublions pas cependant qu’après 1815 les restaurations avaient rétabli presque partout les majorats en Italie. Sous les grands-ducs, la Toscane se figurait être, en fait de propriété, l’un des pays les plus avancés du monde ; il n’en est pas moins vrai que, lorsqu’elle a dû dénombrer ses agriculteurs, elle n’en a guère trouvé