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s’allièrent souvent avec les premiers contre les seconds. Le paon, symbole de l’Autriche, fut l’irréconciliable ennemi du taureau, emblème de la région des pâtres, la vue d’une queue de paon, l’imitation seule du mugissement d’un taureau, provoquaient l’effusion du sang ; les paons, victimes de cette fureur, disparurent du pays. Aussi les chants populaires, surtout ceux qui sont destinés à la satire et à l’invective, sont-ils remplis des allégories du brillant oiseau et du laborieux animal. La fière Zurich traduit devant l’empereur et l’église les pauvres riverains du lac des Quatre-Cantons. « Ils ont juré la haine à la queue du paon ; ils nous ont prêté trois sermens et n’en ont pas tenu un seul. Ces misérables, nés pour traire les vaches, dont les genoux regardent à travers leurs chausses, ils ont si bien mugi, si bien frappé sur leurs cuviers et vomi leurs injures, que la révolte maudite s’est répandue par toutes les montagnes ! » Beaux galans des vaches ! telles.sont les aménités dont les riches bourgeois de Zurich gratifient les descendans de Guillaume Tell ; un bel esprit, maître Félix Hemmerlin, démontrait avec beaucoup d’érudition qu’ils ne pouvaient échapper à la damnation éternelle.

Aux cris aigres du paon, le taureau noir d’Uri et la vache brune d’Unterwalden répondaient par des beuglemens formidables. Les paysans ou herren avaient leurs poètes comme les bourgeois seigneurifiés ou herren. Ils en avaient même davantage, car Berne, avec son domaine plus grand à lui seul que les cantons forestiers réunis, mettait ses forces dans la balance et la faisait pencher contre Zurich. La chanson allait chercher jusque dans l’Oberland des ennemis à l’aristocratie. D’ailleurs la poésie populaire est de nécessité démocrate ; les rhapsodes se font gloire comme leurs héros d’être du parti des bauern. Hans Owen débute ainsi dans son chant sur la victoire de Ragaz remportée en 1446 contre Zurich et les Autrichiens : « Mon cœur est bon camarade, et quand je chante un nouveau lied, il est à la louange des nobles Suisses, il retentit au loin et au large, il excite la colère des chevaliers, et cause le déboire des seigneurs. » Ces braves gens se faisaient gloire de leur pauvreté ; mais ne vous y trompez pas, ce n’était pas un mépris philosophique des richesses. Leur pauvreté n’était qu’un grief de plus contre l’orgueil de leurs ennemis. Après la victoire le pillage, mais dans le combat point de quartier :


« Compagnons., leur criaient les gens de l’empereur à Naefels en 1388, nous vous donnerons or, argent et monnaie ! — Or, argent et monnaie, leur répondent les paysans, en eussiez-vous plus haut qu’une maison, ne servent de rien sur le champ de bataille.

« Nobles seigneurs, vous pratiquez le brigandage et l’incendie. Eh