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aux confédérés. Au contraire, les patrons des villes ennemies ont leur part de l’aversion qu’on porte à leurs protégés, et après le combat il n’est pas rare qu’ils subissent la peine de leur alliance. Quand elle chante la victoire, la chanson fait succéder aux injures le mépris et la dérision. Elle énumère les ennemis qui ont été battus, leurs morts, le butin qui a été fait sur eux ; l’article du butin est des plus importans et caractérise un peuple que sa pauvreté rend cupide. Elle dit les bannières tombées au pouvoir des confédérés, les paroisses où elles sont suspendues ; elle nomme les personnages considérables qui ont mordu la poussière et les grandes dames qui portent leur deuil. Elle élève jusqu’au ciel les cantons vainqueurs, vante les bienfaits de la concorde, et célèbre la glorieuse confédération. On sent combien ces chants sont utiles à l’histoire. Les noms, les chiffres, les dates, trouvent place dans ces vers, que les détails prosaïques n’effarouchent pas aisément. La chanson populaire peut inventer quelquefois, mais elle aime la précision ; les lieux, les hommes qu’elle désigne, elle les a vus. Elle est pour les peuples un aide-mémoire harmonieux.

Certains chants satiriques forment dans cette poésie un genre à part qu’on ne trouverait peut-être pas ailleurs. Les cités suisses, que tant d’occasions mettaient aux prises, s’attaquaient réciproquement dans des chansons virulentes. Avant de se prendre corps à corps, les cantons ennemis se déchiraient dans des diatribes versifiées et chantées. Ces compositions particulières, appelées des Schmählieder, chants diffamatoires, étaient les signes avant-coureurs de la guerre, les articles de journaux incendiaires du temps, les notes violentes de la diplomatie d’alors. Ainsi l’on tâchait de mettre de son côté la justice, de défendre la réputation du canton, de détruire celle des adversaires. D’un autre côté, ces invectives rimées, arme puissante quand on voulait la guerre, devenaient un grand danger quand on voulait la paix. Aussi poètes et chanteurs payaient-ils l’amende quand ils exerçaient mal à propos leur verve malicieuse ; parfois même la chanson était mise absolument en interdit. C’était pour ces époques reculées la suspension de la presse.

La guerre éclatait souvent entre les cantons, surtout lorsque, sortis des murailles d’une ville et devenus de petites puissances, ils achetèrent des villages, conquirent des domaines, et se mirent au lieu et place des anciens seigneurs. La querelle principale et souvent renouvelée était celle des cantons forestiers agricoles avec les cantons riches et patriciens. Les hommes de Zurich n’affectaient pas moins de mépris que les ducs et chevaliers du parti autrichien pour les pâtres et laboureurs de Schwyz, d’Uri, d’Unterwalden ; ils