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nature, le déchaînement aveugle des désastres extérieurs ruinant à tout instant l’œuvre du travail de l’homme, la férocité des animaux qui lui ont fait si longtemps une guerre sérieuse, le déchaînement des cyclones, les tremblemens de terre, les épidémies foudroyantes, les maladies incurables, toutes les puissances ennemies que nous ne savons point encore conjurer ou éviter. Mais l’âme de l’univers a aussi sa dualité pour ne pas dire sa trinalité. Elle a, comme l’homme, une âme spécifique, instinctive, fatale, que l’âme libre et personnelle combat, et que l’âme universelle domine. L’âme spécifique, qui agit aveuglément d’ans tout, être, peut-être dans toute chose, pousse sans cesse l’univers matériel vers le trop-plein et le trop vivant. De cet excès naissent les éclatemens, le vase trop rempli se brise, la force, trop accumulée déchire, ses enveloppes et se détruit elle-même en s’épanchant au dehors. Une montagne, une contrée, un monde, peuvent tomber en ruine sous les coupa de l’agent indompté. L’âme céleste et personnelle de ce monde n’est pas détruite pour cela ; elle va rejoindre le foyer de la vie céleste irréductible, et dans ce foyer de l’infini psychique elle se retrempe à la vie universelle, qui s’aperçoit peu des désastres partiels, ou qui s’en sert avec discernement pour reconstruire des mondes mieux équilibrés.

Mais les victimes, les militons d’individus plus ou moins intelligens que frappe un grand cataclysme, les compterons-nous pour rien ? Si nous croyons que quatre-vingts ou cent ans d’existence sont toute l’aspiration, toute la conquête, toute la destinée de l’homme, ou que, surpris par la mort violente en état de péché, il ait une éternité d’inénarrable souffrance à endurer au sortir de la vie, certes. Dieu est injuste, l’âme universelle est idiote et méchante, ou pour mieux dire elle n’existe pas. Nous sommes des chiffres,…. pas même, des accidens qui ne comptent point.

Ceux que domine l’âme spécifique sont bien libres vde le croire, mais ils ne peuvent forcer ceux qui pensent à partager leur découragement. Sur quelque raisonnement que s’appuie la négation du moi éternel, il ne dépend pas de nous de nous sentir persuadés. A mesure que nos instincts se règlent et s’harmonisent doucement avec les instincts supérieurs, nous entrons dans une lucidité de l’esprit qui est l’état normal auquel l’homme doit parvenir.


19 juillet.

Te définirai-je l’état de santé morale, l’idéal tel que je l’entends ? Il est relatif et se moule forcément sur la vertu la plus pure et la raison la plus haute qu’un homme puisse atteindre dans le temps