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La critique philosophique dont le rôle est grand en ce moment-ci est forte quand elle signale l’abus des mots et le vide des formules. C’est tout ce qu’elle a pu faire jusqu’à ce jour, et il semble qu’il ne soit pas encore de son ressort de chercher une solution. Les ignorans s’en impatientent ? ils s’imaginent que leur sentiment personnel doit se manifester et se concentrer dans quelque aphorisme magique sanctionné par l’expérience et la raison. Faites place à ces ardeurs de la pensée, hommes de réflexion ! elles vous donnent la mesure de nos tendances et de nos besoins. Ne les dédaignez pas, elles sont un thermomètre à consulter, une face de l’humanité à examiner. La preuve de ce besoin, c’est le catholicisme de pur sentiment qui se prêche avec succès aujourd’hui dans les salons et les églises, doctrine incapable de lutter contre la critique historique et habile à esquiver ses coups, mais forte de nos aspirations et adroite pour les accaparer au profit de sa cause. Faites-y grande attention, défenseurs de la doctrine expérimentale ! Trouvez dans vos plus consciencieuses inductions un refuge pour notre idéalisme ; autrement tous les faibles, tous les indécis, tous les illettrés passeront du côté du christianisme moderne, espérant y trouver la paix de l’esprit et l’oubli du devoir de raisonner sa foi.

M. Vacherot, dans un solide et délicat travail récemment publié dans la Revue, nous trace une esquisse instructive de la situation du catholicisme actuel. Malgré son exquise courtoisie pour les lumières de la chaire et de la polémique religieuse, il met ces lumières au pied du mur, les sommant, le malin qu’il est, d’étudier les textes sacrés, de les mettre d’accord et de définir l’orthodoxie. L’église répond in petto : Non possumus ; mais elle continue à nous parler avec une éloquence plus ou moins entraînante (M. Vacherot a un peu exagéré le talent de ses adversaires par excès de générosité ou de finesse) des points lumineux que cherche à ressaisir l’humanité présente : l’âme immortelle, la divinité personnelle, l’avenir infini, les cieux ouverts, l’idéal en un mot.

Devant unie critique et une philosophie qui ne peuvent sauver ouvertement ces trésors du naufrage, qui ne pensent pas même devoir trop affirmer qu’ils existent, l’église invoque le sentiment, supérieur selon elle, à la raison, et les êtres de sentiment vont à elle.

Mal nécessaire, disent les gens calmes. J’avoue que je ne puis pousser jusque-là l’indifférence et la sérénité. le vois l’âme supérieure s’atrophier dans ce divorce avec la logique et retourner à l’enfance de l’humanité, enfance sacrée, poétique, respectable en son temps, dans son premier développement normal ; sénilité puérile et funeste, presque honteuse à l’heure que nous marque aujourd’hui l’aiguille du temps.