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l’espace. Vaincu, il n’est pas soumis et ne renonce jamais à la lutte.

« L’homme est essentiellement et nécessairement progressif, » disent les autres. « Chaque révolution sociale ou religieuse marque une étape de son perfectionnement, chaque effort de son intelligence amené une découverte, chaque instant de sa durée est un pas vers le mieux. »

Ceci est tout aussi vrai que l’assertion contraire. Aussitôt que l’on prend la peine de distinguer, on se trouve d’accord.

Nous arriverons, je pense, à savoir compter jusqu’à trois, qui est le nombre sacré, la clé de l’homme et celle de l’univers, et une bonne définition nous fera quelque jour reconnaître en nous, non pas seulement deux âmes aux prises l’une contre l’autre, mais trois âmes bien distinctes, une pour le domaine de la vie spécifique, une autre pour celui de la vie individuelle, une troisième pour celui de la vie universelle. Celle-ci, qui tiendra compte du droit inaliénable de la vie spécifique, mettra l’accord et l’équilibre entre cette vie diffuse chez tous les êtres et la vie personnelle exagérée en chacun. Elle sera le vrai lien, la vraie âme, la lumière, l’unité.

Chacun de nous, à un degré quelconque, porte en lui cette troisième et suprême puissance, puisqu’il l’entrevoit, l’interroge, lui cherche un nom, et s’inquiète de son emploi ; mais l’éclair a bien des nuages à traverser encore, et peut-être faudra-t-il ces crises sociales terribles où s’amasse la foudre, pour que l’homme, frappé de la vérité comme d’une flèche divine, découvre sa vraie force et remplisse enfin son vrai rôle sur la terre.

L’excellent livre que je viens de te citer, et que tu voudras lire, est le développement analytique du dualisme où l’homme actuel est encore engagé entre ses deux âmes. Le tableau éloquent de cette lutte est navrant, mais il aboutit à des espérances d’un ordre supérieur. Il est plein d’épouvantes pour la destinée humaine livrée à l’instinct spécifique, plein d’enseignemens et d’exportations à l’homme individuel, qui est ardemment sollicité de dégager le principe impérissable de sa liberté du tourbillon des passions basses ou des fantaisies coupables. C’est un livre de morale et de philosophie écrit par un savant et par un libre penseur, car il nous engage à rejeter ces vains termes de spiritualisme et de matérialisme qui nous éloignent de la recherche de la vérité. Funeste antagonisme, en effet ! Il semble que l’humanité se condamne à marcher sur des lignes parallèles sans vouloir jamais les faire fléchir pour se rencontrer, et que, de cette stupide obstination, les individus se fassent un point d’honneur et un mérite personnel. Faudra-t-il en conclure que bien des gens n’auraient rien à dire, s’ils ne disaient pas d’injures aux autres ?